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Quand vous étiez gamin, on vous a
forcément rebattu les oreilles avec des contes pour enfants. Ceux
qui se finissent bien. Les trucs avec des princes charmants qui tuent
des dragons ou des vieilles peaux jalouses qui veulent se débarrasser
de leurs futures belles-filles. Du classique. Du propre. Du n’importe
quoi.
On vous a menti. Hé ouais. Tout ça,
c’est du pipeau. On a même réussi à vous faire croire que ces
histoires étaient aussi vieilles que mes robes.
Foutaises.
Je suis le petit Chaperon rouge. Et ça
ne s’est pas du tout passé comme on vous l’a raconté.
Tout d’abord, je ne suis pas une
gamine bien fagotée et polie. Je suis plutôt du genre grunge qui
aime envoyer chier les gens. Faut pas me chercher, je ne suis pas une
tendre.
La seule ressemblance que j’ai avec
cette poupée de conte de fées, c’est mon goût prononcé pour la
couleur rouge et les capuches. Le rouge, parce que ça pique les yeux
des honnêtes gens et la capuche pour cacher mon visage. Pratique
quand on ne veut pas se faire reconnaître.
Tout s’est passé un jour où je suis
arrivée en retard chez moi. J’avais fumé un pétard dans le parc
et je n’ai pas vu filer l’heure. Ma daronne était folle furieuse
quand je suis rentrée. Elle hurlait qu’elle ne ferait jamais rien
de moi, que je finirai sous les ponts. Ouais. Peut-être. En tout
cas, elle n’était pas Blanche-Neige non plus : sa gueule
avait les rides de celles qui ont fait la gueule toute leur vie, sa
silhouette était passée directement de la bouteille de Perrier à
une brique de jus d’orange. Aussi large que haute. Ça fait envie,
n’est-ce pas ? Et encore, je vous épargne le cheveu gras et
le regard torve.
Après avoir beuglé dix bonnes
minutes, elle m’a renvoyée illico presto avec un sac plastique
rempli de saloperies à donner à ma grand-mère. Ça m’arrangeait
bien, faut dire, l’ambiance à la maison était complètement
pourrie, j’allais pouvoir traîner encore un peu dehors.
J’ai claqué la porte et j’ai filé.
Pour aller chez ma grand-mère (ou
mère-grand, en verlan et je vous jure que ce n’est pas moi qui
l’ai inventé !), je dois traverser un parc immense. La nuit
était tombée, il faisait froid, j’ai mis ma capuche.
Les parcs publics, le soir, n’ont
rien d’enchanteur. C’est une zone où les monstres pullulent, les
vilains, les moches, les vraiment pas beaux.
Et comme par hasard, il y a toujours
une forêt à traverser. Bien glauque, d’ailleurs, sinon on ne se
marre pas.
Dans celui-ci, ça n’a pas loupé, la
forêt était devant moi. Mais n’étant pas une gamine trouillarde,
j’ai foncé entre les arbres et coupé à travers champ. Les
chemins goudronnés, c’est bon pour les moutons.
Ayant du temps devant moi, j’en ai
profité pour m’asseoir un moment sous un chêne et me refaire un
petit joint. Il me fallait bien tout ça pour supporter ma vie.
J’avais encore les oreilles qui bourdonnaient des cris de ma mère.
J’ai tiré une latte sur ma tige et
j’ai regardé le ciel. Étoiles, nuages, lune. C’était chouette
comme endroit. Pas de bruit de voitures ou autres pétrolettes, pas
de jacassement de ces mères de famille avec leurs poussettes trois
roues à la mode, pas de rires stridents de gamins qui courent
partout. J’étais seule au monde. Ou presque.
Un mec m’a abordée alors que je me
relevais. Le genre de type louche, cheveux gras et des dents en
moins. Le Grand Méchant Loup. Pour moi, c’était plus un cas soc’
qu’autre chose. Mais que voulez-vous, faut bien les faire trembler
les bambins ! Alors, va pour un loup. Ça sonne toujours mieux
qu’un clochard.
Il a commencé par me siffler. Puis il
m’a fait du rentre-dedans.
— Hé, mignonne, t’as cinq
minutes ?
Je lui ai répondu sans le regarder.
— Circule, connard, y a rien à
voir.
Il s’est marré.
— Allez, ma jolie, viens me
voir, on va s’amuser un peu.
Pendant deux secondes, j’ai hésité :
lui casser sa gueule déjà bien défoncée ou tracer ma route. J’ai
choisi la seconde option et je l’ai laissé en plan, derrière son
buisson.
J’ai continué ma route. Le sac sous
le bras, une clope au bec. Elle habitait de l’autre côté du parc,
au fond d’une ruelle immonde. Le genre d’endroit que tu fuis
comme la peste et en te bouchant le nez. Elle n’avait jamais voulu
déménager parce que c’est ici qu’elle avait toujours vécu. Ces
vieux, parfois, ils me mettent vingt de tension avec leurs principes
à deux balles. Mais ma mère s’en foutait de la mère-grand. Elle
pouvait bien crever au fond de son lit Ikea, la seule chose qui
l’intéressait c’était son compte en banque bien fourni.
Hé ouais, la mémé était pétée de
tunes. Forcément, à vivre dans un taudis sans sortir de chez elle,
elle avait accumulé un joli matelas de billets qui grossissait
d’année en année. Ma mère en était verte de jalousie.
Je suis arrivée devant la porte, mon
sac toujours sous le bras et je m’apprêtais à frapper quand je me
suis aperçu que je n’avais plus de clopes. Demi-tour, le bureau de
tabac était à côté.
Cinq minutes plus tard, j’étais de
retour.
J’ai toqué et une voix lointaine et
caverneuse m’a répondu :
— Entre, ma chérie !
Elle devait être malade, la vieille,
ou elle avait fumé trop de Gitanes maïs. Je suis entrée, j’ai
posé mon sac sur la table et je suis allée dans la chambre.
Personne.
J’ai entendu du bruit dans la salle
de bains. Mémé devait faire son affaire, je l’ai donc laissée
tranquille et je suis retournée à la cuisine faire du thé. C’était
son rituel depuis des années : thé, clopes et ragots.
C’est avec elle que j’ai fumé ma
première tige, d’ailleurs. Une Gitane sans filtre. Le truc à
vomir tripes et boyaux. Elle m’a fait passer le goût avec un
cognac.
J’avais douze ans. Sacrée Mémé.
Je l’entendais toujours dans la salle
de bain, ça gigotait sévère là-bas dedans.
L’eau s’est mise à bouillir et
j’ai gueulé dans l’appartement :
— Oh, la vieille ! C’est
chaud, tu te bouges ?
Un grognement m’a répondu. Elle ne
devait pas être d’humeur, aujourd’hui.
J’ai rempli les deux tasses et, au
moment où j’allais la sortir de force de la salle de bain, j’ai
entendu la porte s’ouvrir.
Je me suis retournée et j’ai
commencé ma phrase :
— T’en as mis du t…
Le mec qui m’avait accostée dans le
parc était là, devant moi.
Le con. Il avait dû me suivre et quand
je suis allée au tabac, il s’est pointé chez Mémé. À ma place.
Avant moi.
Planté devant moi, il me regardait
fixement.
Sourire baveux, mains en sang.
La colère est montée direct.
— Putain, mais qu’est-ce que
tu fous là ?
— Je t’attendais, poulette !
— Tu m’as suivie, espèce de
tordu !
— Tu croyais pas t’en tirer
comme ça, non ?
Il s’est avancé vers moi, l’œil
rond et l’haleine puante. J’ai failli vomir.
— Qu’est-ce que tu as fait de
la vieille ? Elle est où, Mémé ?
— Elle dort, ne t’inquiète
pas… Viens, maintenant, on va pouvoir s’amuser tous les deux !
J’ai eu un hoquet de stupeur :
il était là, chez ma grand-mère, du sang plein la gueule et il ne
pensait qu’à me sauter !
— Je t’ai demandé où était
Mémé…
Je me suis approchée de lui, le regard
noir, prête à lui exploser la tronche. J’ai dû lui faire peur
parce qu’il s’est mis à bégayer :
— Je crois que… Elle est…
tombée ?
Je l’ai bousculé, il est tombé sur
son cul flasque et j’ai foncé dans la salle de bain : Mémé
baignait dans son sang, au fond de la baignoire, une jambe sur le
rebord. Ses bas de contention lui étaient tombés sur les chevilles,
sa robe marron était remontée jusqu’à la taille et on lui voyait
sa vieille gaine Playtex pleine de taches.
Le rideau de douche lui cachait le
visage alors je l’ai tiré. Et là, j’ai vu Mémé comme jamais :
le dentier en biais, la permanente défrisée et du sang plein la
tronche.
Pendant une minute, je n’ai pas su
quoi faire. J’ai bien vu qu’elle était froide comme une tranche
de jambon, mais j’ai quand même attendu qu’elle bouge un peu. Au
cas où.
Mais non, elle n’a pas bronché.
Alors je suis retournée dans la cuisine et j’ai trouvé l’autre
fou assis à table, en train de siroter le thé de Mémé. Il avait
même ouvert le sac plastique et s’était servi dans le bocal de
cookies.
J’étais bouche bée.
Et j’ai eu la réaction la plus
idiote possible : je me suis barrée en courant.
J’ai couru jusque dans le parc où je
me suis effondrée sur un banc. Ce fou avait tué mère-grand. Et il
en voulait à ma peau. Et pas qu’un peu.
Comment j’allais expliquer ça, moi ?
Mémé était morte. Refroidie. Kaput. Et pas de la meilleure façon.
J’ai allumé une clope et tiré
dessus jusqu’à m’en faire péter la gorge.
Je ne sais plus combien de temps je
suis restée assise là, à me geler les miches sur mon banc, mais
j’avais tellement froid que je me suis décidée à rentrer.
Quand j’ai ouvert la porte, ma mère
m’a sauté dessus.
— Mais bon sang, qu’est-ce que
tu as fait ?
Elle m’a secouée comme un prunier, à
droite, à gauche, devant, derrière. J’ai eu une nausée de tous
les diables.
Tout en me ballottant, elle continuait
son monologue.
— Je le savais que tu n’étais
qu’une sale gamine ! On ne peut pas compter sur toi. À me
demander si tu sors bien de mon ventre !
Elle avait raison, je me demandais bien
aussi si j’étais issue d’une partie de cette folle. Parce qu’à
voir sa tronche à ce moment-là, on n’avait pas vraiment de points
communs toutes les deux.
Elle a recommencé :
— Tu sais où tu vas finir ?
J’ai failli lui répondre « dans
ton cul », mais j’ai pensé que ce n’était pas approprié.
Et elle m’a lâchée d’un coup, a fait deux pas en arrière et a
dit :
— Vous pouvez l’emmener…
Sur le coup, je n’ai rien compris. À
qui elle parlait ? Et m’emmener où, d’abord ?
Deux flics sont sortis de la cuisine et
m’ont mis les menottes. Je n’en croyais pas mes yeux.
Alors qu’ils commençaient à
m’emmener dans le hall, ma mère a demandé aux flics si elle
pouvait me serrer dans ses bras avant de partir.
Elle m’a glissé à l’oreille :
— Merci pour l’héritage.
J’ai hurlé :
— Mais ce n’est pas moi, je
n’ai rien fait !
Peine perdue, j’étais déjà dans la
voiture, derrière un grillage, menottes dans le dos.
Ça fait maintenant cinq ans que je
croupis dans cette turne. Cinq putains d’années à payer pour
quelque chose que je n’ai pas fait. Pendant que ma mère se pavane
en Dior et Ferrari. Pendant que l’autre taré se balade encore dans
le parc. Ou ailleurs.
Soi-disant qu’ils n’ont jamais
trouvé d’autres empreintes que les miennes, chez Mémé. Et tout
le monde savait que j’avais besoin d’argent pour me payer mes
barrettes de shit. Ce que ma mère a confirmé, évidemment. J’étais
la coupable idéale.
J’ai
eu des doutes pendant très longtemps. Maintenant, je n’ai que des
certitudes : c’est ma daronne qui a orchestré tout ça. Le
type, on ne l’a jamais revu. Comme par hasard. Et les flics avaient
fait bien vite pour trouver le corps de Mémé. Un coup de fil
anonyme, il paraît. Ouais, et moi je suis Lady Gaga.
Elle n’a
plus eu qu’à toucher le pactole et le dépenser, sans se soucier
de sa fille qui croupit en prison. Ça coûte pas cher, une gamine en
taule : une cartouche de clopes par semaine. C’est que dalle.
Le reste, elle n’a plus qu’à le claquer en fringues de luxe.
Et moi, j’ai troqué ma veste et mon
pantalon rouge vif pour une tenue grise immonde.
Voilà la véritable histoire du petit
chaperon rouge. Elle n’a rien à voir avec celle que vous avez pu
entendre, bien au chaud sous votre couette en plumes d’oie.
Mais c’est la seule et unique. La
mienne. Et elle ne se termine pas très bien, n’est-ce pas ?
Peut-être qu’un jour, je vous
raconterai l’histoire d’Hansel et Gretel. Ce sera à mourir de
rire, vous verrez.
Une version moderne aux petits oignons. On pense à Tex Avery, à Gotlib, à Audiard, ca se lit comme on se tape un demi bien frais au troquet du coin, ca mousse, ca étanche la soif et c'est drôlement bon.
RépondreSupprimerEfficace.
RépondreSupprimerCertes, pas très original : on a déjà eu la véritable histoire du petit chaperon rouge version dessin animé (qui est d'ailleurs pas mal, bien barrée aussi) mais plaisant à lire. C'est rythmé, des trouvailles (la mère grand en verlan, l'héritage) et un style simple dans le bon sens du terme (+1 pour l'humour). Cependant, depuis que je connais le mec de l'underground (https://www.facebook.com/pages/Le-mec-de-lunderground/430880136927004?fref=ts) ça me paraît un peu fade mais plus accessible.
Bref un bon moment de lecture (gratos en plus, faut pas déconner). Merci à l'auteur pour ce partage.
Je viens de bien me marrer, là ! Mais de là à retrouver le nom de l'auteur... à part en tirant aux fléchettes, et encore... :D
RépondreSupprimerSûr ça va être dur et va falloir s'entraîner aux fléchettes. Je crois que le challenge va devenir : Celui qui a trouvé le plus de bonnes réponses est sacré Expert Auteurs Polars :-)
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerBon, d'accord avec Némascope... la version dessin animé est juste au top mais c'est un dessin animé... En revanche, celle-ci, j'ai bien aimé, même si elle manque de noireté. Elle se lit tranquille, et on est presque sûr de connaître la fin...
RépondreSupprimerJ'attends avec impatience l'histoire d'Hansel et Gretel... Mourir de rire, j'aimerais bien...