vendredi 5 décembre 2014

Nouvelle 2 : Il sonnellino - Ian Manook



— Vincenzo ?
— Ah, Dino, merci de rappeler.
— Tu sais quelle heure il est ? J’étais à table, là !
— Je sais, je sais, Dino, mais je suis dans la merde, cousin. J’ai besoin d’un coup de main.
— Quoi, tu as encore un macchabée sur les bras ?
— Non, non, Dino, pas encore, c’est justement ça le problème…
— Écoute cousin, sois plus clair et dépêche-toi, sinon il n’y aura pas que les penne à être très arrabbiata, si tu vois ce que je veux dire. J’ai pas que ça à faire, de te rendre service !
— Hey, calme-toi Dino, tu veux ? Le service que j’ai à te demander, tu me le dois déjà, tu te souviens ?
— Oui, oui, je sais Vince, je sais : c’est toi qui as cadavérisé ce youpin de Bergman qui voulait orgasmer ma Rosetta pendant mon stage à Rickers. J’ai pas oublié.
— Encore heureux, parce qu’après avoir buté pour toi le connard d’élu, j’ai quand même eu les bites-coupées aux basques pendant tout ton séjour au Club Pénitentiaire. Il a même fallu que j’en dessoude quatre, des gars de la bande à Talmud, pour avoir la paix sur terre !
— D’accord, d’accord Vince. Bon alors, c’est quoi ce service ? Déjà que mes penne sont froides, tu es sûr ça ne peut pas attendre que je trempe mes cantuccini dans le fragolino ?
— Non Dino, ça peut pas.
— Bon attends, t’as l’air trop pris des nerfs, je m’isole…
— …………
— Voilà, on est peinards.
— T’es avec qui, là ?
— Oh, je suis avec qui je veux, cousin. Bon, alors tu accouches ?
— Voilà, Martano, le conseiller de Don Leonetti m’a mis sur un contrat et je peux pas.
— Comment ça, tu peux pas, t’as une entorse de l’index ?
— Non Dino, flinguer je peux, c’est y aller que je peux pas.
— Oh, Vince, qu’est-ce que tu racontes ! On parle d’un contrat à la Martano, là, pas d’une fusillade facultative ! Et pourquoi tu pourrais pas ?
— Faut que j’emmène Cynthia au poney.
— …
— Dino, t’es toujours là ?
— Ben figure-toi que je préférerais pas. C’est quoi cette connerie de poney.
— C’est un petit chev…
— Oh, Vincenzo, je sais ce que c’est qu’un poney. Je te demande ce que c’est que cette connerie d’emmener ta môme au poney !
— Tu connais ma Cynthia, mon oiseau-mouche, mon ange en sucre, mon abricot des neiges…
— Ton abricot des neiges ! ?
— …oui ma fille chérie, ma princesse adorée, et bien cet après-midi elle fait son premier galop, tu comprends ?
— …
— Non tu comprends pas, alors j’explique : il faut que je l’accompagne !
— Vince Vince, Vince, coince le téléphone deux secondes contre ton épaule et tends les mains devant toi, paumes en l’air…et maintenant balance-les de haut en bas…non, pas comme ça, de façon alternée…
— Comment tu sais que…
— Parce que t’es con Vince ! Bon, tu vois devant toi, tes mains font comme les plateaux d’une balance. Alors regarde bien maintenant : dans la main gauche, tu as ta petite Cynthia et son condensé de canasson à la noix, et dans l’autre, tu as Martano, le consigliere de Don Leonetti. Pour faire bonne mesure, côté Martano, tu rajoutes une dizaine de porte-flingues plus Lorenzo le Macaque de Détroit, Nino gueule de rêne d’Albuquerque, les Giavelli, les frangins fratricides du Bronx, et El Pablo Loco du Nouveau Mexique. Ah, et puis Ricky Maraviglioso aussi. Ça, c’est pour la poudre. Côté carton, toujours plateau Martano, tu mets en vrac toute ta famille sur trois générations, plus toi et ton abricot qu’aura même pas le temps de voir la neige cette année. Plus son ersatz de bourrin. Et maintenant, de quel côté ça penche, Vincenzo ?
— Hey, cherche pas à m’embrouiller Dino, je peux pas faire ce contrat, un point c’est tout.
— Ah oui ? Et tu crois que tu vas t’en sortir comme ça ? Même si tu apportais toi-même tes couilles sur un plateau à Martano (Monsieur Martano, je vous apporte mes couilles sur ce plateau pour ne pas avoir pu honorer mon contrat) tu ne serais encore même pas assez mort pour supporter par où il te les ferait bouffer !
— Je sais Dino, je sais. C’est bien pour ça que je te demande ce service.
— Mais putain de bordel de merde Vince, Dieu me pardonne ma grossièreté, tu ne peux pas demander à Maria Assunta d’accompagner votre fille au poney, non ? Putain, pardonnez-moi mon Dieu, Vince, on ne la voit jamais ta Maria Assunta, ça lui ferait au moins prendre l’air en plus.
— C’est impossible Dino, Maria Assunta n’est plus là…
— Comment ça plus là ? Elle est partie ?
— Oui, il y a deux ans.
— Et toi, toi, Vincenzo Tosi, tu l’as laissée partir ? Maria Assunta ? Ta femme ?
— Ben…ça s’est pas passé exactement comme ça…
— Comment ça s’est passé alors ?
— Et bien tu vois cousin, on s’était un peu chauffé les nerfs vu que je pensais que le Lorenzo Fratelli, tu connais, celui du racket à Brooklyn ? Bref, je pensais qu’il la zyeutait un peu beaucoup et que sa façon de se fringuer, à ma Maria Assunta, elle devait bien y être pour quelque chose. Alors après la surchauffe, j’ai en quelque sorte un peu refroidi notre embrouille…
— Et… ?
— Et je lui ai payé une petite séance de shopping.
— Du shopping, hein ? Toi ?
— Oui. Du côté du port…
— Du port ?
— Oui. En fait, question shopping, je lui ai offert une belle paire d’escarpins en béton à cette salope !
— Nom de Dieu pardonnez-moi mon seigneur, tu l’as… ?
— Oui, je l’ai…
— Merde alors ! Et tu vis seul depuis tout ce temps-là ?
— Non, non, j’avais déjà Marcella, ma maîtresse, tu sais, celle du strip-tease à Long Island ? On est ensemble maintenant.
— Et bien alors ça roule, cousin, Marcella n’a qu’à accompagner ton loukoum à la galopade des étalons rabotés !
— C’est hors de question Dino.
— Ah oui ? Pourquoi ? Et avant de répondre n’oublie pas toute la merde martanesque que tu tiens dans ta main droite.
— Parce que Maria Assunta je l’aimais trop, et Marcella aussi. Je veux pas être obligé d’emmener Marcie shopper du côté du port à son tour. Alors depuis qu’on s’aime au grand jour, elle sort pas de la maison. Jamais. Niente. J’ai tout fermé, barricadé, verrouillé. Je ne veux pas qu’un de ces salauds la mate comme ce Lorenzo a désapé des oculaires ma Maria Assunta et me force à lui offrir une paire de palmes en parpaings à elle aussi.
— Ah oui, là je comprends Vincenzo, je comprends. Donc, tu es vraiment dans la merde mon petit Vince.
— C’est par là que j’ai commencé, rappelle-toi.
— Tu es dans la merde, et tu voudrais que j’y patauge à ta place.
— C’est le service que tu me dois !
— D’accord, d’accord… et il est sur qui ce contrat, que je voie ce que je peux faire ?
— Ben justement, c’est ça qui est chiant Dino…
— Vicenzo, mes spaghettis à la puttanesca étaient trop bons. Ne vas pas me les faire digérer à la bile froide, tu veux ? Il était sur qui, ce putain de contrat ?
— Ben…Sur toi, Dino.
— Quoi ? Espèce de putain d’enfoiré de fils de pute excusez-moi Seigneur, sur moi ! ?
— Hey calme-toi cousin, tu sais très bien que c’est pas moi qui choisis qui je dois dessouder !
— Enculé de rital à la con c’est ma faute c’est ma très grande faute Seigneur, n’empêche que sans la foutue compétition de mouton à crinière de ta pisseuse, tu m’aurais déjà buté sans état d’âme, c’est pas vrai ?
— Hey pas d’insulte, tu veux, je suis pas rital, moi. Je suis calabrais. Alors mesure ton langage.
— Calabrais de mes couilles oui, excusez Seigneur. Et mes abricots des neiges à moi, tu y as pensé ? Tu sais combien j’en ai, moi, des abricots ? Dix ! Dix que j’en ai ! Et toi espèce de bâtard de couille molle à la con Sainte Mère de Dieu priez pour moi tu étais prêt à faire dix orphelines d’un seul coup si ta môme avait fait badminton au lieu de poney !
— Dino, Dino, tu sais bien qu’il n’y a rien de personnel là-dedans. Je suis porte-flingue, tu le sais bien. Deuxième gâchette chez Don Leonetti. Je fais que mon boulot, cousin.
— Ah oui ? Et c’est qui la première gâchette de la famille Leonetti, hein ? C’EST QUI ? CONNARD DE SICILIEN DE MERDE EXCUSEZ SEIGNEUR !
— Ben c’est toi Dino. Bien sûr que tu es la première gâchette. Tout le monde le sait, Dino. Personne ne le conteste. Personne, je te le jure. Et tu le resteras toujours, honneur et respect !
— …
— Dino, tu m’écoutes ? Honneur et respect j’ai dit.
— Oui, mais… pourquoi tu m’appelles alors ?
— …j’en sais plus trop rien. J’aurais dû te descendre il y a une semaine déjà. Martano m’a envoyé El Pablo Loco en début de semaine pour voir où j’en étais, et hier les Giavelli se sont invités au petit-déjeuner.
— Merde. Il t’a gâté Martano. Ils sont graves ceux-là !
— Ces fils de putes, tu te rends compte ? Ils débarquent sans prévenir avec Marcie tout en dentelle qui me servait le café à poil en dessous. Putains de déglingués lubriques, tu aurais vu comment ils la regardaient !
— Oh non Vince, ne me dis pas que…
— Et qu’est-ce que tu voulais que je fasse d’autre, Dino ? Ils avaient des bites à la place des yeux ces enfoirés de Milanais !
— Oh Dieu miséricordieux, mais qu’est-ce que tu as fait Vince ?
— J’ai fait ce qu’il fallait et que tu aurais fait à ma place. Les Giavelli, ils n’ont plus de bite. Et plus d’yeux non plus d’ailleurs ! Tu te rends compte qu’ils m’ont forcé à faire ça chez moi, dans ma cuisine, sans faire de bruit pour ne pas réveiller ma petite Cynthia. Les yeux et la bite, tu conviendras que c’était pas facile en mezza voce !
— Et… et Marcie ?
— Marcie c’est pas pareil, elle était à la maison, elle n’y était pour rien cette fois. D’ailleurs elle m’a aidé avec les corps. Tu aurais dû voir ça Dino, elle avait du sang plein sa nuisette et ça collait la dentelle à sa peau, ça moulait ses gros seins et on voyait les tétons bandés à travers. Même entre ses cuisses ça collait, on devinait sa touffe, cousin. Tu aurais dû voir ça !
— Non, j’ai rien vu, okay ? J’ai rien vu, queude, nibe, niente, j’étais pas là, et j’imagine walou, même pas en crypté, tu m’entends ? C’est bien clair ?
— Merde Dino, jamais j’aurais cru ça d’elle et moi, tu sais ? Après on est passés sous la douche tous les deux à se lécher le sang, je te jure, c’était bandant dans la mousse à savon et je te l’ai enfouraillée sous l’eau chaude, putain Dino, j’ai dû dégainer au moins trois fois et peut-être bien qu’on a refait un petit abricot, Dino, peut-être bien que je lui ai planté un putain d’abricotier dans le jardin, si tu veux tout savoir !
— Sainte Mère de Dieu Vince je ne veux rien savoir, tu m’entends ? Je n’ai rien entendu, j’ai même pas écouté, je me suis ensablé les portugaises, j’ai replié les pavillons, je te jure. J’ai même fermé les yeux quand tu parlais, alors tu vois !
— Sacrés Giavelli, tu te rends compte que ça sera peut-être bien grâce à eux si…
— Vincenzo, Vincenzo, Vincenzo, revenons aux Giavelli justement, qu’est-ce que tu as fait des corps ? C’est pour ça que tu as besoin de moi ?
— Non, non, les Giavelli je les ai rangés, bien à l’abri, discrétos.
— Où ça ?
— À côté du Pablo Loco !
— …
— Dino, il faut me comprendre, j’ai rien cherché dans ce coup-là ! Il était fou ce Mexicano. D’ailleurs Don Leonetti n’aurait jamais dû accepter cet étranger dans notre famille.
— Vince, Pablo Loco n’est PAS un étranger. Il n’est PAS mexicain. C’est juste quelqu’un de la famille qui s’est fait piquer à Acapulco avec une tonne de coke. Et pas n’importe quel quelqu’un. El Pablo Loco, C’EST LE NEVEU DE DON LEONETTI !
— …c’était !
— Quoi ? Putain de merde Mon Dieu je sacrilège mais faut comprendre, tu as tué le neveu du Capo dei Capi ?
— Je l’ai pas tué Dino, je l’ai pas tué. Il débarque, là, frimeur comme un mariachi à la con, il joue les zorro avec son rasoir à la main, et il me fait le coup de si je te déglingue pas il s’occupe de Marcie et Cynthia.
— Et alors ?
— Alors il fait ça devant Cynthia !
— Et alors ?
— Alors il se fout d’elle en gigotant de la lame et lui dit que Pomme d’Amour…
— Pomme d’Amour ?
— C’est le poney de ma Cynthia.
— Et alors ?
— Alors il dit comme ça à Cynthia que Pomme d’Amour avait la panse trop à ras du gazon pour être un vrai cheval, que sa putain de jument de mère avait dû se faire sauter par un basset artésien pour accoucher d’une erreur pareille, qu’il était tout juste bon à ce qu’on lui enfonce un manche à balai dans le cul pour en faire un balai-brosse, et encore plein d’autres horreurs du même genre. Et puis il a vu l’autre poney dans le salon, celui que j’ai fait empailler pour que mon petit abricot s’entraîne à la bonne position, et il l’a enjambé en disant qu’il préférait mourir plutôt que de chevaucher cette miette de cheval.
— Et alors ?
— Alors j’ai un peu perdu le contrôle et je lui ai coupé les deux guibolles à hauteur des genoux pour qu’il soit à la bonne taille !
— Tu lui as…
— Oui, mais je l’ai pas tué Dino. Techniquement je l’ai pas tué. Je l’ai raccourci des jambes, mais je l’ai pas tué. C’est ce con qui s’est vidé de son sang pour mourir.
— Je comprends Vincenzo, je comprends. Donc El Pablo Loco et les Giavelli sont chez toi.
— Voilà, c’est ça.
— Et toi tu as un contrat sur moi.
— Exact.
— Et tu m’appelles sans trop savoir pourquoi.
— Oui. Enfin non. Je sais pas vraiment, mais j’ai quand même une petite idée.
— …
— …
— BORDEL DE MERDE MON DIEU AYEZ PITIÉ DE MOI TU ACCOUCHES OUI OU NON VINCENZO !
— Oh cousin, calme-toi tu veux ? Si on peut plus parler calmement entre membres de la même famille !
— Espèce de ramolli du bulbe, c’est la famille qui va nous démembrer quand elle va découvrir ce que tu as fait et qu’elle apprendra que tu m’as tout raconté !
— Ben justement, c’est ça le service que j’ai à te demander.
— Ça quoi ?
— Je voudrais que tu jures sur la tête de Dieu que tu vas pas me descendre Dino.
— …
— Entre cousins Dino, tu me dois bien ça !
— Vince, je comprends pas. Tu fais le même job que moi. Tu sais bien que si tu viens pour me mitrailler, je vais défourailler en retour. Merde Vince, c’est le B.A BA du métier, tu comprends ? Je suis quand même la première gâchette de la famille !
— Je ne te parle pas de ça Dino. Je vais pas venir te fumer, loin de moi cette idée. Sinon je l’aurais fait depuis longtemps. Souviens-toi à l’enterrement des Fratellini, quand tu es allé expliquer à coups de poing américain au croque-mort derrière le crématorium que Don Leonetti n’était pas content des fleurs ? Ou au mariage de la fille de Martano, quand tu as sauté sa première demoiselle d’honneur et sa mère, je veux dire la mère de la demoiselle, pas celle de Martano, sur la banquette arrière de la Rolls des mariés. Le cul à l’air j’aurais pu t’avoir. Avec chacune de tes autres maîtresses aussi d’ailleurs j’aurais pu te flinguer à califourchon si j’avais voulu Dino. Trois régulières, trois trous de balle en plus que je te faisais. Et bien je l’ai pas fait !
— Ah ouais ? Et tu voudrais que je te félicite pour ça ? Un porte-flingue, Vincenzo, ça flingue, et si tu avais un tant soit peu de conscience professionnelle tu aurais dû me flinguer à chaque occasion qui se présentait si c’était le contrat. Tu veux que te dise une chose, Vincenzo ? C’est pour ça que t’es que seconde gâchette. T’as pas encore tout pigé de la grandeur du métier.
— Comme tu veux, Dino, on n’est pas là pour s’embrouiller, note bien, c’est pas le moment vu les circonstances, mais moi je dis que si tu es première gâchette et pas moi, on sait tous que c’est parce que Martano et toi vous êtes de la jaquette et que…
— HEY, JE SUIS PAS DE…
— D’accord, d’accord Dino. T’es pas vraiment pédéraste, je te crois. T’as même une famille et dix abricots, je te l’accorde. T’es juste un putain d’obsédé Dino, c’est pas vrai ? Tout ce qui passe, tout ce qui bouge, tout ce qui a un trou, c’est pas vrai ? Je vais te dire une chose, c’est pour ça que t’es jamais venu avec nous voir Cynthia au poney. Tout le monde est venu tellement je suis fier, mais toi jamais. Demande-leur Dino.
— Vincenzo, mon cousin, mon frère, comment peux-tu penser une seule seconde que j’aurais pu… enfin merde Vince, Cynthia !
— Mais Dino, c’est pas pour Cynthia que j’avais peur, bordel !
— …
— C’est pour son poney, Dino, pour son poney ! Tu ne te souviens pas quand on est allés jeter aux hyènes du zoo les morceaux du dealer tchétchène qui voulait empiéter sur notre macadam ?
— Le Kadyrov, là, il y a deux ans, au zoo du Bronx ?
— Oui, fais pas l’idiot, quand on est repassés par l’enclos des sangliers, que tu m’as dit que t’avais envie de pisser et que j’avance, que tu me rejoindrais.
— Ben quoi ?
— Putain Dino, on a entendu la pauvre bête grumeler dans tout le Bronx !
— Merde, ça s’est entendu tant que ça ?
— Tu m’étonnes ! Souviens-toi, tu n’étais que troisième gâchette à cette époque et moi déjà deuxième. C’est quand il a appris l’histoire du sanglier que Martano t’a nommé première gâchette et que le poste m’est passé sous le nez.
— Merde, ça explique tout alors, cette façon qu’il a de me…
— De te quoi ?
— Non, rien, rien, oublie. Putain, faut que je retrouve le salaud qui m’a dénoncé, que je le remercie : je lui dois ma première gâchette.
— Ben justement, ça tombe bien !
— Quoi, tu veux dire que… ?
— Et qui d’autre ? Réfléchis un peu, il n’y avait que nous deux là-bas. À l’époque j’ai cru qu’en faisant remonter ça jusqu’aux oreilles de Martano, ça flinguerait ton statut d’homme d’honneur. Pas une seule seconde j’aurais pensé qu’il en était le Consigliere.
— Qu’est-ce que tu veux, Vincenzo, les temps changent !
— Arrête, ne me dis pas que vous allez vous marier, en plus !
— Hey, attention à ce que tu dis ! N’oublie pas que je suis marié et père de famille. Et nombreuse en plus.
— Ouais…
— …
— Bon alors ?
— Alors quoi ?
— Alors je peux compter sur toi ?
— Pour faire quoi ?
— Pour ne pas me flinguer Dino, essaye de suivre un peu !
— Mais si tu ne viens pas me sulfater, j’ai aucune raison de te flinguer Vincenzo !
— Bien sûr que si Dino. D’après toi, quand Martano s’apercevra qu’El Loco et les Giavelli font des asticots chez moi, qui est-ce qu’il enverra aux nouvelles.
— Ben moi, bien sûr !
— Et pour quoi faire ?
— Putain de bordel de merde Dieu me pardonne !
— Oui, ben laisse un peu Dieu en dehors de ça, il a déjà assez de bordel à gérer tout seul, et concentre-toi sur nous deux. Tu as compris maintenant ?
— Oui, ça y est Vincenzo, j’ai compris : Martano va me demander de te flinguer.
— Voilà ! Et moi je te demande de ne pas le faire.
— D’accord, mais ça, je ne peux pas le faire, Vince, je suis première gâchette, je te l’ai expliqué. Je mets mon honneur en jeu dans ce coup-là !
— Dino, Dino, Dino, branche un peu ta boîte à neurones de temps en temps. Tu te rappelles pourquoi tu dois venir me flinguer ?
— Vincenzo, ne me prends pas pour plus con que je suis, d’accord ? Je vais devoir te flinguer parce que tu n’as pas honoré un contrat de Martano.
— Très bien Dino, très bien. Et il était sur qui le contrat du Cinghiale ?
— Ben…comment tu connais son petit surnom à Martano ?
— D’après toi, Dino ? Bon, alors, ce contrat, sur qui il était ?
— …
— Sur toi, Dino ! Ce putain de cochon sauvage de Martano a posé un contrat sur toi. Sur toi. SUR TOI ! Tu piges maintenant ?
— Ben non. Un contrat c’est un contrat. Tu n’honores pas le tien, moi j’honore le mien, et basta, tout est réglé.
— Merde Dino, c’est pas un cerveau que t’as dans le crâne, c’est de la mousse de mascarpone à ce stade-là. Si le premier contrat était sur toi, une fois que tu m’auras fumé, il chargera quelqu’un d’autre de te fumer toi à ton tour, c’est pourtant pas compliqué à comprendre !
— Ouais, et bien qu’ils y viennent. Je suis première gâchette moi !
— Écoute, essore un peu le jus de tiramisu qui te sert de cervelle, et essaye plutôt de m’expliquer pourquoi le Cinghiale veut t’envoyer Ad Patres ?
— Où ça ?
— Ad Patres, Dino, en fin de ligne, au terminus, au dépôt, à la ferraille !
— Comprends pas !
— POURQUOI IL VEUT DÉZINGUER, ZIGOUILLER, BUTER, TROUER, EFFACER, PLOMBER, CALIBRER LE PAUVRE CON QUE TU ES !
— Hey, hey cousin, pas la peine de t’énerver ! J’en sais rien, moi, pourquoi il veut m’envoyer au royaume des taupes.
— Peut-être pour te regarder te faire les taupes…
— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ?
— Dino, tu n’aurais pas un peu sauté de travers ces derniers temps ?
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— Tu ne te serais pas fait une erreur, dernièrement ?
— Une erreur ?
— Oui, quelqu’un que tu n’aurais pas dû. Une femme, un mec, un animal, réfléchis bien !
— Ben…honnêtement… je vois pas cousin. Vraiment pas !
— Un petit grec par exemple, genre Telly Savalas en version gnome, ça te dit rien ?
— Ah, celui-là !
— Celui-là, que Martano t’avait demandé de descendre, pas d’enfiler
— Attends Vincenzo, ça comptait pas, le type il était déjà mort ! Ça s’est passé APRÈS le contrat. D’ABORD je l’ai flingué en honorant le contrat et APRÈS seulement…
— …tu as honoré son cadavre en l’enfilant. Et bien tu vois, ça, Martano il a pas apprécié. À mon avis tu vois, ton Cinghiale, il baise dans la catégorie Othello, Fédération Mondiale de Jalousie. Version poids lourd !
— Tu crois ?
— Je veux !
— Merde alors, tu sais quoi Vincenzo, et bien ça me fait quelque chose qu’il soit jaloux, le Consigliere. Putain, j’en aurais les larmes aux yeux ! Tu te rends compte, le Consigliere de Don Leonetti, jaloux de moi au point de me mettre un contrat dessus ! Merde, c’est plutôt flatteur, non ?
— On peut voir ça comme ça !
— Attends, je ne lui ai jamais menti au Cinghiale. Il sait tout de moi, je lui cache rien. Même qu’il insiste souvent pour que je lui raconte tous mes autres coups quand on est dans son garage…
— Son garage ?
— Oui, il aime ça dans le garage, au milieu des outils. C’est son truc. L’huile de vidange, les manches de marteau, les trucs mécaniques, il adore ça. Tu savais qu’il a une Aston Martin Vanquish en plus de sa Maserati Ghibli S Q4 et de son Alfa Brera le salaud ?
— Écoute, oublie ses caisses et pense plutôt à celle dans laquelle tu vas finir, Dino !
— Pourquoi tu dis ça, Vince ?
— Parce que cette fois, avec le Grec, tu as fait une connerie et il va t’envoyer la fossoyeuse !
— Mais pourquoi ?
— Parce que le Grec il travaillait comme collecteur pour les Arméniens et il a fait une petite série noire de conneries sur notre territoire. C’est même pour ça que Martano t’a envoyé le buter.
— Et alors ?
— Alors tu enfiles qui tu veux, n’importe où, dans n’importe quel sens, mais pas en dehors de la famille. La famille, c’est la famille, tu piges ? Italienne et catholique. Et les Arméniens, grecs ou pas, ils sont pas catholiques. Alors ils sont pas de la famille. Voilà pourquoi Martano a mis un contrat sur toi, et pourquoi, vu que je l’ai pas honoré, il en a mis un sur moi.
— Merde, qu’est-ce qu’on fait alors ?
— Ben moi je t’ai pas flingué et en échange je te demande de ne pas me buter, c’est pas compliqué !
— …
— Dino ?
— Ben en fait, c’est un peu plus compliqué que ça, Vince. Et puis plus simple aussi en même temps, remarque…
— Explique-toi.
— Ben ce qui est compliqué, tu vois, c’est que Martano a décidé que, finalement, il allait se charger lui-même du contrat sur toi.
— Ça, ça ne m’étonne pas, vu qu’il va perdre sa première gâchette.
— Qu’est-ce que ça veut dire, Vince ?
— Que tu vas mourir, Dino. C’est écrit. C’est pour ça que Martano va prendre les choses en main.
— Je ne vais pas mourir, Vince, et Martano ne VA PAS prendre les choses en main. Il les a DÉJÀ prises. Il était chez moi quand tu as appelé tout à l’heure, et il est parti chez toi avec Le Macaque et Gueule de Rêne pour te refroidir. Il m’a juste demandé de t’occuper au téléphone le temps qu’ils arrivent. À l’heure qu’il est, Vince, ils doivent être derrière ta porte armés comme des porte-avions. Je te préviens parce qu’on est cousins, mais ça va être chaud pour toi, Vincenzo.
— T’en fais pas Dino, c’est dimanche soir, tu sais !
— Je vois pas le rapport…
— Ben les blaireaux sont devant leur télé, les trimeurs du lundi sont déjà couchés, y’a moitié moins de bus, y’a plus de taxis, pratiquement pas de bagnoles. Un trafic de jour férié, cousin, je te jure. Ça roulait tellement bien que ton Cinghiale et ses marcassins sont arrivés un peu en avance pour la chasse !
— …Putain de merde de Nom de Dieu priez pour moi, ne me dis pas que…
— Si, si, Dino !
— Tous les trois ?
— Un, deux, trois, le compte y est !
— Tu les as…
— Non Dino, je les ai pas comme tu dis. Moi j’étais pas là.
— Mais… comment alors ?
— J’ai laissé ma sulfateuse à Marcie. Un mini Uzi. Trois kilos, c’est bien à courte distance pour la ménagère de moins de cinquante ans. Bon, maladroite comme elle est, elle a dû arroser tout le salon, mais je suis sûr qu’elle les a eus. Planquée comme elle était, elle pouvait pas les louper. Surtout dans le dos.
— Mais toi, t’es où alors ?
— Moi ? Te retourne pas, cousin, mais je suis juste là, derrière toi.
— Avec le fil du téléphone qui court depuis chez toi ?
— Je te parle depuis mon portable, cousin…
— M’embrouille pas Vince, je t’ai appelé sur ton fixe !
— Transfert d’appel. Tu connais pas ?
— Putain de bordel de merde Dieu Tout-Puissant excusez-moi ! Me faire avoir, comme ça, moi, une première gâchette !
— T’es plus première gâchette, Dino.
— Ah oui ? Et je suis quoi alors ?
— T’es plus rien Dino. T’es mort !
— Don Leonetti ?
— …
— Don Leonetti, c’est moi. Juste pour vous dire que tout le monde a bien mangé, Monsieur. Tout le monde est rassasié. Tout le monde fait la sieste maintenant. Il sonnellino.
— …
— Autre chose, Don Leonetti ?
— Oui. Tu as bien travaillé mon garçon. Tu devrais te reposer toi aussi maintenant. Tu l’as bien mérité Vincenzo.
— Quoi, Don Leonetti, qu’est-ce que j’ai bien mérité ?
— Ton sonnellino…
— Ma sieste ? Pourquoi une sieste, Don Leonetti ? Pourquoi vous dites ça ? Qu’est-ce que…Hey…Ricky, qu’est-ce que tu fous là ? Don Leonetti, qu’est-ce que Maraviglioso fait chez Dino ? Putain Don Leonetti, dites-lui que…hey Ricky, non Ricky, attends, putain Ricky on est cousins non ? Ricky, baisse ce flingue putain, attends, non, pas ça. Don Leonetti, dites-lui de pas faire ça ! Dites-lui à ce putain d’enfoiré de… argh………Merde Ricky tu m’as tiré dessus ! Ce putain d’enfoiré m’a tiré dessus. Il m’a perforé le bide Don Leonetti !…arghhh…tiens, connard, tiens, tiens et tiens prends ça encore ! Qu’est-ce que tu croyais, napolitain de mes deux… tu t’attendais pas à celle-là, hein ?… Putain Don Leonetti, vous l’aviez pas prévenu ce bouffeur de spaghetti que…que j’étais la meilleure gâchette ?… après Dino je veux dire…putain ça fait mal !… hein Ricky que ça fait mal ?… Peut plus répondre ce connard…… Méritait pas de devenir gâchette à notre place à Dino et à moi, Don Leonetti… ce salaud a visé le ventre… pour faire souffrir et que ça dure… laissé le temps de réagir… pas vu le Beretta scotché sous la table……connais les combines à Dino, moi…… la vache, ça brûle drôlement Don Leonetti, je vous jure… la chance le Ricky…… tombé sur un pro, lui… pan dans la tronche…… troué le front…… cervelle sur le mur…… raide mort………voyez Don Leonetti……… le meilleur……… toujours été moi……… bordel ça fait mal !………… votre meilleure……… meilleure gâchette Don… Leonetti…………… moi………… moi……………………
— …
— …

— Clic !

3 commentaires:

  1. Un sacré dialogue, vivant, précis, avec juste ce qu’il faut de folklore pour être crédible. Le Parrain, Les Affranchis, Les Soprano, Casino… on a entendu ça tellement de fois que ces gens font presque partie de la famille. « Des amis à nous » disait Al Pacino dans Donnie Brasco . Et les autres affranchis de lui répondre : « Non, des amis à toi ». Une musique fascinante, une tarentelle sicilienne dont on ne se lasse jamais, avec ses bons mots et ses clichés, sa douceur feinte et sa violence fulgurante qui vous ramène sur terre en deux temps trois mouvements. Moi j’ai le best of de Nino Rota, je m’en fous, un plat de pâtes et l’affaire est dans le sac. Ah ! Brando en Don Vito vieux, De Niro en Don Vito jeune, on doit beaucoup à la mafia, qu’est-ce qu’on se serait emmerdé au cinoche sans elle.

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  2. Excellent.
    ça se boit comme du petit lait. On dirait du Tarantino à la pulp fiction : drôle et percutant. Et Jean a raison : ça fonctionne aussi parce que l'auteur sait de quoi il parle, la touche d'authenticité ajoute à la parodie. J'en ai vu plusieurs aussi des films de mafiosi, et pour moi la gueule que je préfère c'est Mickael Madsen (Donnie Brasco). ça fait du bien aussi de rire après Gomorra.

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  3. Super moment... Je me suis régalé. Rappel effectivement à tous ces films de "pieuvre" qui ont bercé mon adolescence... J'aime moins la fin... trop de points de suspension...

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