— Vincenzo ?
— Ah, Dino, merci de rappeler.
— Tu sais quelle heure il est ?
J’étais à table, là !
— Je sais, je sais, Dino, mais
je suis dans la merde, cousin. J’ai besoin d’un coup de main.
— Quoi, tu as encore un
macchabée sur les bras ?
— Non, non, Dino, pas encore,
c’est justement ça le problème…
— Écoute cousin, sois plus
clair et dépêche-toi, sinon il n’y aura pas que les penne
à être très arrabbiata, si tu vois ce que je veux dire.
J’ai pas que ça à faire, de te rendre service !
— Hey, calme-toi Dino, tu veux ?
Le service que j’ai à te demander, tu me le dois déjà, tu te
souviens ?
— Oui, oui, je sais Vince, je
sais : c’est toi qui as cadavérisé ce youpin de Bergman qui
voulait orgasmer ma Rosetta pendant mon stage à Rickers. J’ai pas
oublié.
— Encore heureux, parce qu’après
avoir buté pour toi le connard d’élu, j’ai quand même eu les
bites-coupées aux basques pendant tout ton séjour au Club
Pénitentiaire. Il a même fallu que j’en dessoude quatre, des gars
de la bande à Talmud, pour avoir la paix sur terre !
— D’accord, d’accord Vince.
Bon alors, c’est quoi ce service ? Déjà que mes penne
sont froides, tu es sûr ça ne peut pas attendre que je trempe mes
cantuccini dans le fragolino ?
— Non Dino, ça peut pas.
— Bon attends, t’as l’air
trop pris des nerfs, je m’isole…
— …………
— Voilà, on est peinards.
— T’es avec qui, là ?
— Oh, je suis avec qui je veux,
cousin. Bon, alors tu accouches ?
— Voilà, Martano, le conseiller
de Don Leonetti m’a mis sur un contrat et je peux pas.
— Comment ça, tu peux pas, t’as
une entorse de l’index ?
— Non Dino, flinguer je peux,
c’est y aller que je peux pas.
— Oh, Vince, qu’est-ce que tu
racontes ! On parle d’un contrat à la Martano, là, pas d’une
fusillade facultative ! Et pourquoi tu pourrais pas ?
— Faut que j’emmène Cynthia
au poney.
— …
— Dino, t’es toujours là ?
— Ben figure-toi que je
préférerais pas. C’est quoi cette connerie de poney.
— C’est un petit chev…
— Oh, Vincenzo, je sais ce que
c’est qu’un poney. Je te demande ce que c’est que cette
connerie d’emmener ta môme au poney !
— Tu connais ma Cynthia, mon
oiseau-mouche, mon ange en sucre, mon abricot des neiges…
— Ton abricot des neiges ! ?
— …oui ma fille chérie, ma
princesse adorée, et bien cet après-midi elle fait son premier
galop, tu comprends ?
— …
— Non tu comprends pas, alors
j’explique : il faut que je l’accompagne !
— Vince Vince, Vince, coince le
téléphone deux secondes contre ton épaule et tends les mains
devant toi, paumes en l’air…et maintenant balance-les de haut en
bas…non, pas comme ça, de façon alternée…
— Comment tu sais que…
— Parce que t’es con Vince !
Bon, tu vois devant toi, tes mains font comme les plateaux d’une
balance. Alors regarde bien maintenant : dans la main gauche, tu
as ta petite Cynthia et son condensé de canasson à la noix, et dans
l’autre, tu as Martano, le consigliere de Don
Leonetti. Pour faire bonne mesure, côté Martano, tu rajoutes une
dizaine de porte-flingues plus Lorenzo le Macaque de Détroit, Nino
gueule de rêne d’Albuquerque, les Giavelli, les frangins
fratricides du Bronx, et El Pablo Loco du Nouveau Mexique. Ah, et
puis Ricky Maraviglioso aussi. Ça, c’est pour la poudre. Côté
carton, toujours plateau Martano, tu mets en vrac toute ta famille
sur trois générations, plus toi et ton abricot qu’aura même pas
le temps de voir la neige cette année. Plus son ersatz de bourrin.
Et maintenant, de quel côté ça penche, Vincenzo ?
— Hey, cherche pas à
m’embrouiller Dino, je peux pas faire ce contrat, un point c’est
tout.
— Ah oui ? Et tu crois que
tu vas t’en sortir comme ça ? Même si tu apportais toi-même
tes couilles sur un plateau à Martano (Monsieur Martano, je
vous apporte mes couilles sur ce plateau pour ne pas avoir pu honorer
mon contrat) tu ne serais encore même pas assez mort pour
supporter par où il te les ferait bouffer !
— Je sais Dino, je sais. C’est
bien pour ça que je te demande ce service.
— Mais putain de bordel de merde
Vince, Dieu me pardonne ma grossièreté, tu ne peux pas demander à
Maria Assunta d’accompagner votre fille au poney, non ?
Putain, pardonnez-moi mon Dieu, Vince, on ne la voit jamais ta Maria
Assunta, ça lui ferait au moins prendre l’air en plus.
— C’est impossible Dino, Maria
Assunta n’est plus là…
— Comment ça plus là ?
Elle est partie ?
— Oui, il y a deux ans.
— Et toi, toi, Vincenzo Tosi, tu
l’as laissée partir ? Maria Assunta ? Ta femme ?
— Ben…ça s’est pas passé
exactement comme ça…
— Comment ça s’est passé
alors ?
— Et bien tu vois cousin, on
s’était un peu chauffé les nerfs vu que je pensais que le Lorenzo
Fratelli, tu connais, celui du racket à Brooklyn ? Bref, je
pensais qu’il la zyeutait un peu beaucoup et que sa façon de se
fringuer, à ma Maria Assunta, elle devait bien y être pour quelque
chose. Alors après la surchauffe, j’ai en quelque sorte un peu
refroidi notre embrouille…
— Et… ?
— Et je lui ai payé une petite
séance de shopping.
— Du shopping, hein ? Toi ?
— Oui. Du côté du port…
— Du port ?
— Oui. En fait, question
shopping, je lui ai offert une belle paire d’escarpins en béton à
cette salope !
— Nom de Dieu pardonnez-moi mon
seigneur, tu l’as… ?
— Oui, je l’ai…
— Merde alors ! Et tu vis
seul depuis tout ce temps-là ?
— Non, non, j’avais déjà
Marcella, ma maîtresse, tu sais, celle du strip-tease à Long
Island ? On est ensemble maintenant.
— Et bien alors ça roule,
cousin, Marcella n’a qu’à accompagner ton loukoum à la galopade
des étalons rabotés !
— C’est hors de question Dino.
— Ah oui ? Pourquoi ?
Et avant de répondre n’oublie pas toute la merde martanesque que
tu tiens dans ta main droite.
— Parce que Maria Assunta je
l’aimais trop, et Marcella aussi. Je veux pas être obligé
d’emmener Marcie shopper du côté du port à son tour. Alors
depuis qu’on s’aime au grand jour, elle sort pas de la maison.
Jamais. Niente. J’ai tout fermé, barricadé, verrouillé. Je ne
veux pas qu’un de ces salauds la mate comme ce Lorenzo a désapé
des oculaires ma Maria Assunta et me force à lui offrir une paire de
palmes en parpaings à elle aussi.
— Ah oui, là je comprends
Vincenzo, je comprends. Donc, tu es vraiment dans la merde mon petit
Vince.
— C’est par là que j’ai
commencé, rappelle-toi.
— Tu es dans la merde, et tu
voudrais que j’y patauge à ta place.
— C’est le service que tu me
dois !
— D’accord, d’accord… et
il est sur qui ce contrat, que je voie ce que je peux faire ?
— Ben justement, c’est ça qui
est chiant Dino…
— Vicenzo, mes spaghettis à
la puttanesca étaient trop bons. Ne vas pas me les
faire digérer à la bile froide, tu veux ? Il était sur qui,
ce putain de contrat ?
— Ben…Sur toi, Dino.
— Quoi ? Espèce de putain
d’enfoiré de fils de pute excusez-moi Seigneur, sur moi ! ?
— Hey calme-toi cousin, tu sais
très bien que c’est pas moi qui choisis qui je dois dessouder !
— Enculé de rital à la con
c’est ma faute c’est ma très grande faute Seigneur, n’empêche
que sans la foutue compétition de mouton à crinière de ta
pisseuse, tu m’aurais déjà buté sans état d’âme, c’est pas
vrai ?
— Hey pas d’insulte, tu veux,
je suis pas rital, moi. Je suis calabrais. Alors mesure ton langage.
— Calabrais de mes couilles oui,
excusez Seigneur. Et mes abricots des neiges à moi, tu y as pensé ?
Tu sais combien j’en ai, moi, des abricots ? Dix ! Dix
que j’en ai ! Et toi espèce de bâtard de couille molle à la
con Sainte Mère de Dieu priez pour moi tu étais prêt à faire dix
orphelines d’un seul coup si ta môme avait fait badminton au lieu
de poney !
— Dino, Dino, tu sais bien qu’il
n’y a rien de personnel là-dedans. Je suis porte-flingue, tu le
sais bien. Deuxième gâchette chez Don Leonetti. Je fais que mon
boulot, cousin.
— Ah oui ? Et c’est qui
la première gâchette de la famille Leonetti, hein ? C’EST
QUI ? CONNARD DE SICILIEN DE MERDE EXCUSEZ SEIGNEUR !
— Ben c’est toi Dino. Bien sûr
que tu es la première gâchette. Tout le monde le sait, Dino.
Personne ne le conteste. Personne, je te le jure. Et tu le resteras
toujours, honneur et respect !
— …
— Dino, tu m’écoutes ?
Honneur et respect j’ai dit.
— Oui, mais… pourquoi tu
m’appelles alors ?
— …j’en sais plus trop rien.
J’aurais dû te descendre il y a une semaine déjà. Martano m’a
envoyé El Pablo Loco en début de semaine pour voir où j’en
étais, et hier les Giavelli se sont invités au petit-déjeuner.
— Merde. Il t’a gâté
Martano. Ils sont graves ceux-là !
— Ces fils de putes, tu te rends
compte ? Ils débarquent sans prévenir avec Marcie tout en
dentelle qui me servait le café à poil en dessous. Putains de
déglingués lubriques, tu aurais vu comment ils la regardaient !
— Oh non Vince, ne me dis pas
que…
— Et qu’est-ce que tu voulais
que je fasse d’autre, Dino ? Ils avaient des bites à la place
des yeux ces enfoirés de Milanais !
— Oh Dieu miséricordieux, mais
qu’est-ce que tu as fait Vince ?
— J’ai fait ce qu’il fallait
et que tu aurais fait à ma place. Les Giavelli, ils n’ont plus de
bite. Et plus d’yeux non plus d’ailleurs ! Tu te rends
compte qu’ils m’ont forcé à faire ça chez moi, dans ma
cuisine, sans faire de bruit pour ne pas réveiller ma petite
Cynthia. Les yeux et la bite, tu conviendras que c’était pas
facile en mezza voce !
— Et… et Marcie ?
— Marcie c’est pas pareil,
elle était à la maison, elle n’y était pour rien cette fois.
D’ailleurs elle m’a aidé avec les corps. Tu aurais dû voir ça
Dino, elle avait du sang plein sa nuisette et ça collait la dentelle
à sa peau, ça moulait ses gros seins et on voyait les tétons
bandés à travers. Même entre ses cuisses ça collait, on devinait
sa touffe, cousin. Tu aurais dû voir ça !
— Non, j’ai rien vu, okay ?
J’ai rien vu, queude, nibe, niente, j’étais pas là,
et j’imagine walou, même pas en crypté, tu m’entends ?
C’est bien clair ?
— Merde Dino, jamais j’aurais
cru ça d’elle et moi, tu sais ? Après on est passés sous la
douche tous les deux à se lécher le sang, je te jure, c’était
bandant dans la mousse à savon et je te l’ai enfouraillée sous
l’eau chaude, putain Dino, j’ai dû dégainer au moins trois fois
et peut-être bien qu’on a refait un petit abricot, Dino, peut-être
bien que je lui ai planté un putain d’abricotier dans le jardin,
si tu veux tout savoir !
— Sainte Mère de Dieu Vince je
ne veux rien savoir, tu m’entends ? Je n’ai rien entendu,
j’ai même pas écouté, je me suis ensablé les portugaises, j’ai
replié les pavillons, je te jure. J’ai même fermé les yeux quand
tu parlais, alors tu vois !
— Sacrés Giavelli, tu te rends
compte que ça sera peut-être bien grâce à eux si…
— Vincenzo, Vincenzo, Vincenzo,
revenons aux Giavelli justement, qu’est-ce que tu as fait des
corps ? C’est pour ça que tu as besoin de moi ?
— Non, non, les Giavelli je les
ai rangés, bien à l’abri, discrétos.
— Où ça ?
— À côté du Pablo Loco !
— …
— Dino, il faut me comprendre,
j’ai rien cherché dans ce coup-là ! Il était fou ce
Mexicano. D’ailleurs Don Leonetti n’aurait jamais dû accepter
cet étranger dans notre famille.
— Vince, Pablo Loco n’est PAS
un étranger. Il n’est PAS mexicain. C’est juste quelqu’un de
la famille qui s’est fait piquer à Acapulco avec une tonne de
coke. Et pas n’importe quel quelqu’un. El Pablo Loco, C’EST LE
NEVEU DE DON LEONETTI !
— …c’était !
— Quoi ? Putain de merde
Mon Dieu je sacrilège mais faut comprendre, tu as tué le neveu du
Capo dei Capi ?
— Je l’ai pas tué Dino, je
l’ai pas tué. Il débarque, là, frimeur comme un mariachi à la
con, il joue les zorro avec son rasoir à la main, et il me fait le
coup de si je te déglingue pas il s’occupe de Marcie et Cynthia.
— Et alors ?
— Alors il fait ça devant
Cynthia !
— Et alors ?
— Alors il se fout d’elle en
gigotant de la lame et lui dit que Pomme d’Amour…
— Pomme d’Amour ?
— C’est le poney de ma
Cynthia.
— Et alors ?
— Alors il dit comme ça à
Cynthia que Pomme d’Amour avait la panse trop à ras du gazon pour
être un vrai cheval, que sa putain de jument de mère avait dû se
faire sauter par un basset artésien pour accoucher d’une erreur
pareille, qu’il était tout juste bon à ce qu’on lui enfonce un
manche à balai dans le cul pour en faire un balai-brosse, et encore
plein d’autres horreurs du même genre. Et puis il a vu l’autre
poney dans le salon, celui que j’ai fait empailler pour que mon
petit abricot s’entraîne à la bonne position, et il l’a enjambé
en disant qu’il préférait mourir plutôt que de chevaucher cette
miette de cheval.
— Et alors ?
— Alors j’ai un peu perdu le
contrôle et je lui ai coupé les deux guibolles à hauteur des
genoux pour qu’il soit à la bonne taille !
— Tu lui as…
— Oui, mais je l’ai pas tué
Dino. Techniquement je l’ai pas tué. Je l’ai raccourci des
jambes, mais je l’ai pas tué. C’est ce con qui s’est vidé de
son sang pour mourir.
— Je comprends Vincenzo, je
comprends. Donc El Pablo Loco et les Giavelli sont chez toi.
— Voilà, c’est ça.
— Et toi tu as un contrat sur
moi.
— Exact.
— Et tu m’appelles sans trop
savoir pourquoi.
— Oui. Enfin non. Je sais pas
vraiment, mais j’ai quand même une petite idée.
— …
— …
— BORDEL DE MERDE MON DIEU AYEZ
PITIÉ DE MOI TU ACCOUCHES OUI OU NON VINCENZO !
— Oh cousin, calme-toi tu veux ?
Si on peut plus parler calmement entre membres de la même famille !
— Espèce de ramolli du bulbe,
c’est la famille qui va nous démembrer quand elle va découvrir ce
que tu as fait et qu’elle apprendra que tu m’as tout raconté !
— Ben justement, c’est ça le
service que j’ai à te demander.
— Ça quoi ?
— Je voudrais que tu jures sur
la tête de Dieu que tu vas pas me descendre Dino.
— …
— Entre cousins Dino, tu me dois
bien ça !
— Vince, je comprends pas. Tu
fais le même job que moi. Tu sais bien que si tu viens pour me
mitrailler, je vais défourailler en retour. Merde Vince, c’est le
B.A BA du métier, tu comprends ? Je suis quand même la
première gâchette de la famille !
— Je ne te parle pas de ça
Dino. Je vais pas venir te fumer, loin de moi cette idée. Sinon je
l’aurais fait depuis longtemps. Souviens-toi à l’enterrement des
Fratellini, quand tu es allé expliquer à coups de poing américain
au croque-mort derrière le crématorium que Don Leonetti n’était
pas content des fleurs ? Ou au mariage de la fille de Martano,
quand tu as sauté sa première demoiselle d’honneur et sa mère,
je veux dire la mère de la demoiselle, pas celle de Martano, sur la
banquette arrière de la Rolls des mariés. Le cul à l’air
j’aurais pu t’avoir. Avec chacune de tes autres maîtresses aussi
d’ailleurs j’aurais pu te flinguer à califourchon si j’avais
voulu Dino. Trois régulières, trois trous de balle en plus que je
te faisais. Et bien je l’ai pas fait !
— Ah ouais ? Et tu voudrais
que je te félicite pour ça ? Un porte-flingue, Vincenzo, ça
flingue, et si tu avais un tant soit peu de conscience
professionnelle tu aurais dû me flinguer à chaque occasion qui se
présentait si c’était le contrat. Tu veux que te dise une chose,
Vincenzo ? C’est pour ça que t’es que seconde gâchette.
T’as pas encore tout pigé de la grandeur du métier.
— Comme tu veux, Dino, on n’est
pas là pour s’embrouiller, note bien, c’est pas le moment vu les
circonstances, mais moi je dis que si tu es première gâchette et
pas moi, on sait tous que c’est parce que Martano et toi vous êtes
de la jaquette et que…
— HEY, JE SUIS PAS DE…
— D’accord, d’accord Dino.
T’es pas vraiment pédéraste, je te crois. T’as même une
famille et dix abricots, je te l’accorde. T’es juste un putain
d’obsédé Dino, c’est pas vrai ? Tout ce qui passe, tout ce
qui bouge, tout ce qui a un trou, c’est pas vrai ? Je vais te
dire une chose, c’est pour ça que t’es jamais venu avec nous
voir Cynthia au poney. Tout le monde est venu tellement je suis fier,
mais toi jamais. Demande-leur Dino.
— Vincenzo, mon cousin, mon
frère, comment peux-tu penser une seule seconde que j’aurais
pu… enfin merde Vince, Cynthia !
— Mais Dino, c’est pas pour
Cynthia que j’avais peur, bordel !
— …
— C’est pour son poney, Dino,
pour son poney ! Tu ne te souviens pas quand on est allés jeter
aux hyènes du zoo les morceaux du dealer tchétchène qui voulait
empiéter sur notre macadam ?
— Le Kadyrov, là, il y a deux
ans, au zoo du Bronx ?
— Oui, fais pas l’idiot, quand
on est repassés par l’enclos des sangliers, que tu m’as dit que
t’avais envie de pisser et que j’avance, que tu me rejoindrais.
— Ben quoi ?
— Putain Dino, on a entendu la
pauvre bête grumeler dans tout le Bronx !
— Merde, ça s’est entendu
tant que ça ?
— Tu m’étonnes !
Souviens-toi, tu n’étais que troisième gâchette à cette époque
et moi déjà deuxième. C’est quand il a appris l’histoire du
sanglier que Martano t’a nommé première gâchette et que le poste
m’est passé sous le nez.
— Merde, ça explique tout
alors, cette façon qu’il a de me…
— De te quoi ?
— Non, rien, rien, oublie.
Putain, faut que je retrouve le salaud qui m’a dénoncé, que je le
remercie : je lui dois ma première gâchette.
— Ben justement, ça tombe
bien !
— Quoi, tu veux dire que… ?
— Et qui d’autre ?
Réfléchis un peu, il n’y avait que nous deux là-bas. À l’époque
j’ai cru qu’en faisant remonter ça jusqu’aux oreilles de
Martano, ça flinguerait ton statut d’homme d’honneur. Pas une
seule seconde j’aurais pensé qu’il en était le Consigliere.
— Qu’est-ce que tu veux,
Vincenzo, les temps changent !
— Arrête, ne me dis pas que
vous allez vous marier, en plus !
— Hey, attention à ce que tu
dis ! N’oublie pas que je suis marié et père de famille. Et
nombreuse en plus.
— Ouais…
— …
— Bon alors ?
— Alors quoi ?
— Alors je peux compter sur
toi ?
— Pour faire quoi ?
— Pour ne pas me flinguer Dino,
essaye de suivre un peu !
— Mais si tu ne viens pas me
sulfater, j’ai aucune raison de te flinguer Vincenzo !
— Bien sûr que si Dino. D’après
toi, quand Martano s’apercevra qu’El Loco et les Giavelli font
des asticots chez moi, qui est-ce qu’il enverra aux nouvelles.
— Ben moi, bien sûr !
— Et pour quoi faire ?
— Putain de bordel de merde Dieu
me pardonne !
— Oui, ben laisse un peu Dieu en
dehors de ça, il a déjà assez de bordel à gérer tout seul, et
concentre-toi sur nous deux. Tu as compris maintenant ?
— Oui, ça y est Vincenzo, j’ai
compris : Martano va me demander de te flinguer.
— Voilà ! Et moi je te
demande de ne pas le faire.
— D’accord, mais ça, je ne
peux pas le faire, Vince, je suis première gâchette, je te l’ai
expliqué. Je mets mon honneur en jeu dans ce coup-là !
— Dino, Dino, Dino, branche un
peu ta boîte à neurones de temps en temps. Tu te rappelles pourquoi
tu dois venir me flinguer ?
— Vincenzo, ne me prends pas
pour plus con que je suis, d’accord ? Je vais devoir te
flinguer parce que tu n’as pas honoré un contrat de Martano.
— Très bien Dino, très bien.
Et il était sur qui le contrat du Cinghiale ?
— Ben…comment tu connais son
petit surnom à Martano ?
— D’après toi, Dino ?
Bon, alors, ce contrat, sur qui il était ?
— …
— Sur toi, Dino ! Ce putain
de cochon sauvage de Martano a posé un contrat sur toi. Sur toi. SUR
TOI ! Tu piges maintenant ?
— Ben non. Un contrat c’est un
contrat. Tu n’honores pas le tien, moi j’honore le mien, et
basta, tout est réglé.
— Merde Dino, c’est pas un
cerveau que t’as dans le crâne, c’est de la mousse de mascarpone
à ce stade-là. Si le premier contrat était sur toi, une fois que
tu m’auras fumé, il chargera quelqu’un d’autre de te fumer toi
à ton tour, c’est pourtant pas compliqué à comprendre !
— Ouais, et bien qu’ils y
viennent. Je suis première gâchette moi !
— Écoute, essore un peu le jus
de tiramisu qui te sert de cervelle, et essaye plutôt de m’expliquer
pourquoi le Cinghiale veut t’envoyer Ad
Patres ?
— Où ça ?
— Ad Patres, Dino, en fin
de ligne, au terminus, au dépôt, à la ferraille !
— Comprends pas !
— POURQUOI IL VEUT DÉZINGUER,
ZIGOUILLER, BUTER, TROUER, EFFACER, PLOMBER, CALIBRER LE PAUVRE
CON QUE TU ES !
— Hey, hey cousin, pas la peine
de t’énerver ! J’en sais rien, moi, pourquoi il veut
m’envoyer au royaume des taupes.
— Peut-être pour te regarder te
faire les taupes…
— Hein ? Quoi ?
Qu’est-ce que tu dis ?
— Dino, tu n’aurais pas un peu
sauté de travers ces derniers temps ?
— Qu’est-ce que tu insinues ?
— Tu ne te serais pas fait une
erreur, dernièrement ?
— Une erreur ?
— Oui, quelqu’un que tu
n’aurais pas dû. Une femme, un mec, un animal, réfléchis bien !
— Ben…honnêtement… je vois
pas cousin. Vraiment pas !
— Un petit grec par exemple,
genre Telly Savalas en version gnome, ça te dit rien ?
— Ah, celui-là !
— Celui-là, que Martano t’avait
demandé de descendre, pas d’enfiler
— Attends Vincenzo, ça comptait
pas, le type il était déjà mort ! Ça s’est passé APRÈS
le contrat. D’ABORD je l’ai flingué en honorant le contrat et
APRÈS seulement…
— …tu as honoré son cadavre
en l’enfilant. Et bien tu vois, ça, Martano il a pas apprécié. À
mon avis tu vois, ton Cinghiale, il baise dans la
catégorie Othello, Fédération Mondiale de Jalousie. Version poids
lourd !
— Tu crois ?
— Je veux !
— Merde alors, tu sais quoi
Vincenzo, et bien ça me fait quelque chose qu’il soit jaloux,
le Consigliere. Putain, j’en aurais les larmes aux
yeux ! Tu te rends compte, le Consigliere de
Don Leonetti, jaloux de moi au point de me mettre un contrat dessus !
Merde, c’est plutôt flatteur, non ?
— On peut voir ça comme ça !
— Attends, je ne lui ai jamais
menti au Cinghiale. Il sait tout de moi, je lui cache
rien. Même qu’il insiste souvent pour que je lui raconte tous mes
autres coups quand on est dans son garage…
— Son garage ?
— Oui, il aime ça dans le
garage, au milieu des outils. C’est son truc. L’huile de vidange,
les manches de marteau, les trucs mécaniques, il adore ça. Tu
savais qu’il a une Aston Martin Vanquish en plus de sa Maserati
Ghibli S Q4 et de son Alfa Brera le salaud ?
— Écoute, oublie ses caisses et
pense plutôt à celle dans laquelle tu vas finir, Dino !
— Pourquoi tu dis ça, Vince ?
— Parce que cette fois, avec le
Grec, tu as fait une connerie et il va t’envoyer la fossoyeuse !
— Mais pourquoi ?
— Parce que le Grec il
travaillait comme collecteur pour les Arméniens et il a fait une
petite série noire de conneries sur notre territoire. C’est même
pour ça que Martano t’a envoyé le buter.
— Et alors ?
— Alors tu enfiles qui tu veux,
n’importe où, dans n’importe quel sens, mais pas en dehors de la
famille. La famille, c’est la famille, tu piges ? Italienne et
catholique. Et les Arméniens, grecs ou pas, ils sont pas
catholiques. Alors ils sont pas de la famille. Voilà pourquoi
Martano a mis un contrat sur toi, et pourquoi, vu que je l’ai pas
honoré, il en a mis un sur moi.
— Merde, qu’est-ce qu’on
fait alors ?
— Ben moi je t’ai pas flingué
et en échange je te demande de ne pas me buter, c’est pas
compliqué !
— …
— Dino ?
— Ben en fait, c’est un peu
plus compliqué que ça, Vince. Et puis plus simple aussi en même
temps, remarque…
— Explique-toi.
— Ben ce qui est compliqué, tu
vois, c’est que Martano a décidé que, finalement, il allait se
charger lui-même du contrat sur toi.
— Ça, ça ne m’étonne pas,
vu qu’il va perdre sa première gâchette.
— Qu’est-ce que ça veut dire,
Vince ?
— Que tu vas mourir, Dino. C’est
écrit. C’est pour ça que Martano va prendre les choses en main.
— Je ne vais pas mourir, Vince,
et Martano ne VA PAS prendre les choses en main. Il les a DÉJÀ
prises. Il était chez moi quand tu as appelé tout à l’heure, et
il est parti chez toi avec Le Macaque et Gueule de Rêne pour te
refroidir. Il m’a juste demandé de t’occuper au téléphone le
temps qu’ils arrivent. À l’heure qu’il est, Vince, ils doivent
être derrière ta porte armés comme des porte-avions. Je te
préviens parce qu’on est cousins, mais ça va être chaud pour
toi, Vincenzo.
— T’en fais pas Dino, c’est
dimanche soir, tu sais !
— Je vois pas le rapport…
— Ben les blaireaux sont devant
leur télé, les trimeurs du lundi sont déjà couchés, y’a
moitié moins de bus, y’a plus de taxis, pratiquement pas de
bagnoles. Un trafic de jour férié, cousin, je te jure. Ça roulait
tellement bien que ton Cinghiale et ses marcassins
sont arrivés un peu en avance pour la chasse !
— …Putain de merde de Nom de
Dieu priez pour moi, ne me dis pas que…
— Si, si, Dino !
— Tous les trois ?
— Un, deux, trois, le compte y
est !
— Tu les as…
— Non Dino, je les ai pas comme
tu dis. Moi j’étais pas là.
— Mais… comment alors ?
— J’ai laissé ma sulfateuse à
Marcie. Un mini Uzi. Trois kilos, c’est bien à courte distance
pour la ménagère de moins de cinquante ans. Bon, maladroite comme
elle est, elle a dû arroser tout le salon, mais je suis sûr qu’elle
les a eus. Planquée comme elle était, elle pouvait pas les louper.
Surtout dans le dos.
— Mais toi, t’es où alors ?
— Moi ? Te retourne pas,
cousin, mais je suis juste là, derrière toi.
— Avec le fil du téléphone qui
court depuis chez toi ?
— Je te parle depuis mon
portable, cousin…
— M’embrouille pas Vince, je
t’ai appelé sur ton fixe !
— Transfert d’appel. Tu
connais pas ?
— Putain de bordel de merde Dieu
Tout-Puissant excusez-moi ! Me faire avoir, comme ça, moi, une
première gâchette !
— T’es plus première
gâchette, Dino.
— Ah oui ? Et je suis quoi
alors ?
— T’es plus rien Dino. T’es
mort !
— Don Leonetti ?
— …
— Don Leonetti, c’est moi.
Juste pour vous dire que tout le monde a bien mangé, Monsieur. Tout
le monde est rassasié. Tout le monde fait la sieste maintenant. Il
sonnellino.
— …
— Autre chose, Don Leonetti ?
— Oui. Tu as bien travaillé mon
garçon. Tu devrais te reposer toi aussi maintenant. Tu l’as bien
mérité Vincenzo.
— Quoi, Don Leonetti, qu’est-ce
que j’ai bien mérité ?
— Ton sonnellino…
— Ma sieste ? Pourquoi une
sieste, Don Leonetti ? Pourquoi vous dites ça ? Qu’est-ce
que…Hey…Ricky, qu’est-ce que tu fous là ? Don Leonetti,
qu’est-ce que Maraviglioso fait chez Dino ? Putain Don
Leonetti, dites-lui que…hey Ricky, non Ricky, attends, putain Ricky
on est cousins non ? Ricky, baisse ce flingue putain, attends,
non, pas ça. Don Leonetti, dites-lui de pas faire ça !
Dites-lui à ce putain d’enfoiré de… argh………Merde Ricky tu
m’as tiré dessus ! Ce putain d’enfoiré m’a tiré dessus.
Il m’a perforé le bide Don Leonetti !…arghhh…tiens,
connard, tiens, tiens et tiens prends ça encore ! Qu’est-ce
que tu croyais, napolitain de mes deux… tu t’attendais pas à
celle-là, hein ?… Putain Don Leonetti, vous l’aviez pas
prévenu ce bouffeur de spaghetti que…que j’étais la meilleure
gâchette ?… après Dino je veux dire…putain ça fait
mal !… hein Ricky que ça fait mal ?… Peut plus
répondre ce connard…… Méritait pas de devenir gâchette à
notre place à Dino et à moi, Don Leonetti… ce salaud a visé le
ventre… pour faire souffrir et que ça dure… laissé le temps de
réagir… pas vu le Beretta scotché sous la table……connais les
combines à Dino, moi…… la vache, ça brûle drôlement Don
Leonetti, je vous jure… la chance le Ricky…… tombé sur un pro,
lui… pan dans la tronche…… troué le front…… cervelle sur
le mur…… raide mort………voyez Don Leonetti……… le
meilleur……… toujours été moi……… bordel ça fait
mal !………… votre meilleure……… meilleure gâchette
Don… Leonetti…………… moi………… moi……………………
— …
— …
— Clic !
Un sacré dialogue, vivant, précis, avec juste ce qu’il faut de folklore pour être crédible. Le Parrain, Les Affranchis, Les Soprano, Casino… on a entendu ça tellement de fois que ces gens font presque partie de la famille. « Des amis à nous » disait Al Pacino dans Donnie Brasco . Et les autres affranchis de lui répondre : « Non, des amis à toi ». Une musique fascinante, une tarentelle sicilienne dont on ne se lasse jamais, avec ses bons mots et ses clichés, sa douceur feinte et sa violence fulgurante qui vous ramène sur terre en deux temps trois mouvements. Moi j’ai le best of de Nino Rota, je m’en fous, un plat de pâtes et l’affaire est dans le sac. Ah ! Brando en Don Vito vieux, De Niro en Don Vito jeune, on doit beaucoup à la mafia, qu’est-ce qu’on se serait emmerdé au cinoche sans elle.
RépondreSupprimerExcellent.
RépondreSupprimerça se boit comme du petit lait. On dirait du Tarantino à la pulp fiction : drôle et percutant. Et Jean a raison : ça fonctionne aussi parce que l'auteur sait de quoi il parle, la touche d'authenticité ajoute à la parodie. J'en ai vu plusieurs aussi des films de mafiosi, et pour moi la gueule que je préfère c'est Mickael Madsen (Donnie Brasco). ça fait du bien aussi de rire après Gomorra.
Super moment... Je me suis régalé. Rappel effectivement à tous ces films de "pieuvre" qui ont bercé mon adolescence... J'aime moins la fin... trop de points de suspension...
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