lundi 22 septembre 2014

Loupo de Jacques-Olivier BOSCO - Editions Jigal 

Voilà un livre que j'ai bien du mal à chroniquer, parce que je me sens très ambivalente quant à ce que j'ai pu ressentir à sa lecture. J'ai aimé lire ce livre que j'ai dévoré en quelques heures. J'y ai trouvé plaisir. Pourtant, après lecture il me reste un goût d'inachevé.

Les personnages m'y paraissent anachroniques. L'impression de malfrats d'hier dans la cité d'aujourd'hui. Leurs caractères sont sur certains aspects plutôt bien brossés mais sur d'autres à peine esquissés. Ainsi la jeune femme qui tombe amoureuse de Loupo. Elle arrive de façon opportune dans le récit pour l'étoffer, mais elle-même a finalement peu de profondeur. Comme la plupart des autres personnages qui sont juste survolés. Pourtant, l'auteur nous propose une piste lorsqu'il dit qu'elle semble avoir un lourd passé, mais finalement, cette piste, lui-même ne la creuse pas davantage. On ne saura rien de plus sur les raisons qui l'ont fait aimer cet homme, rien non plus sur son histoire personnelle.

Loupo lui-même me semble décrit de façon un peu manichéenne. Un voyou malgré lui, à cause de son passé, mais un homme d'honneur pourtant. L'intrigue est assez réussie, quoique classique. Elle nous embarque dans l'enchaînement de circonstances qui font que Loupo, malgré son souhait de se rendre à la justice après avoir blessé un enfant remet sans cesse au lendemain cet objectif.


L'écriture est percutante, parfois poétique, ça se lit vite et avec plaisir, mais peut-être un peu trop vite pour être finalement réellement marquée par cette histoire. Bref, je reste sur ma faim, une faim de loup, car l'écriture de ce livre est chouette, l'intrigue bien foutue et que finalement, peut-être que le vrai problème c'est surtout qu'il est trop court :-)

dimanche 7 septembre 2014

Aux animaux la guerre - Nicolas Mathieu

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu
Aux éditions actes noirs - Acte Sud


Comme un état des lieux, celui d’une société en déliquescence. Des portraits, sans concessions mais attachants d’hommes, de femmes, à l’avenir bouché, comme cet horizon d’hivers trop froids, où la neige collante s’écrase mollement et entrave le pas déjà lourd de ceux qui n’attendent plus rien.

Ça se passe dans les Vosges, mais ça pourrait tout aussi bien se passer dans le Nord ou dans la Creuse. Dans le Jura ou sur les contreforts pyrénéens. Ça se passe là, où l’emploi, industriel qui nourrissait des familles, de pères en fils depuis des générations, qui bousillait des vies mais faisait chauffer les marmites disparaît. Celui d’une solidarité ouvrière, d’un syndicalisme autrefois florissant qu’on se raconte, comme une légende et qui survit encore, mais s’éteindra en même temps que l’usine fermera.

C’est l’univers Ricoré. Pas celui des dimanches enchantés, plutôt celui des bols qui refroidissent, sur la toile cirée jaune pisseux de la cuisine. Ces bols dans lesquels on trempe une biscotte ramollie avant d’aller trimer ou de s’enfoncer dans le canapé, un verre à la main avec pour horizon la console vidéo ou les feuilletons télévisés pour tuer la journée. C’est celui du petit blanc sec ou du picon-bière de dix heures du mat. Monde désenchanté tant pour ceux qui ont un boulot que pour ceux qui n’en ont pas.

Dans cet univers trop froid, quelques étincelles de vie, pourtant. Parce qu’elle est là, malgré tout et qu’il arrive que le désir vienne réchauffer un quotidien morose, voire même qu’on tombe amoureux, comme l’oiseau tombe du nid... Par accident.

Dans ce microcosme où tout le monde se connaît, où la dernière usine va bientôt fermer ses portes, il y a les petits trafics pour joindre les deux bouts, ou pour oublier son désœuvrement, et puis comme sur ces routes verglacées soumises aux tempêtes, il y a le dérapage incontrôlé, incontrôlable.

La force de ce livre, ce sont ces destins qui s’entremêlent. Ce sont ces personnages qu’on aimerait voir s’en sortir alors qu’on sait qu’ils sont enlisés. Inéluctablement. Des personnages forts pourtant, aux personnalités parfaitement ciselées par l’auteur qui nous fait rebondir de l’un à l’autre pour dessiner une fresque sociale sombre d’un monde qui disparaît sans que pourtant un autre vienne le remplacer.



Mon seul regret : Il aurait peut-être fallu que le livre se conclue durant la tempête, avec cette empreinte de pied nu dans la neige. Ce qui suit et qui n’est ensuite qu’esquissé aurait fourni sans problème la matière à un deuxième tome, certainement aussi riche que le premier.

Aucune bête aussi féroce d'Edward Bunker aux éditions Rivages/Noir

Aucune bête aussi féroce – E. Bunker – Rivages/noir

Prochainement diffusée dans le cadre des chroniques littéraires de Radio Béton : Des poches sous les yeux

Impossible de parler de ce livre, sans auparavant dire quelques mots de son auteur. Né en 1933 et mort en 2005, Edward Bunker a durant la première partie de sa vie davantage connu la prison que la liberté. Entre les maisons de redressement qui auront émaillé son enfance et les multiples séjours derrière les barreaux aux États-Unis. Il y aura passé dix-huit années de sa vie. C'est en prison qu'il se passionne pour la littérature et qu'il devient écrivain. La plupart de ses livres ont été adaptés au cinéma et Edward Bunker à également joué le rôle M. Blue dans Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino. « Aucune bête aussi féroce » est préfacé par James Ellroy qui, comme beaucoup d’autres auteurs de romans noirs, lui voue une grande admiration. C’est en prison qu’il écrira ce roman noir qui sera publié en 1973. C'est le premier de quatre livres très inspirés de son histoire personnelle.

Dans ce premier livre, il relate son désir de s'inscrire dans une vie enfin normale, mais il est assailli de lourdes interrogations à quelques heures de sa libération conditionnelle.
« Si je voulais quelque chose de différent, il me faudrait moi-même, forcément, être différent. Est-ce que c’était possible ? »

«Avant même que j’ai le nez dehors, je me retrouve en porte-à-faux entre une amitié à respecter et la loi à enfreindre. Que je sois le plus dégueu des enfoirés si c’est pas une vraie galère, de promettre que je vais commettre un délit avant même d’être sorti. »

Enfin libéré, nous suivons Max Dembo dans sa tentative de réinsertion et les difficiles relations avec son responsable de conditionnelle.

Je lui rendis son sourire avec candeur, une candeur que je n’éprouvais pas : impossible d’oublier que nos rapports étaient essentiellement ceux d’un couteau dont la lame se pressait contre une gorge.

Il faut que vous compreniez que je ne suis pas comme vous. J’ai un trop lourd passé derrière moi, tous ces jours qui m’ont gauchi, qui m’ont totalement emmêlé l’esprit, pour être comme vous. Ce qui ne signifie pas que mon seul et unique destin soit d’être une menace pour la société. Si j’avais la conviction que mon avenir allait inévitablement ressembler à mon passé, je me suiciderais. Je suis fatigué. Je peux accepter de me plier suffisamment pour rester dans les limites de la loi, mais je ne serai jamais le mec qui rentre le soir chez lui, dans sa maison de la vallée de San Fernando, pour retrouver sa femme et ses gosses.

Si ce livre est semi-autobiographique, il s’y dessine aussi une fresque sociale. Celle des bas-fonds de Los Angeles. Les personnages qui entourent Max Dembo sont tous englués dans leurs problèmes – alcool, drogue, misère – souvent jusqu'au cou, sans aucun espoir d'en sortir. Edward Bunker y dresse également le constat d’un clivage ethnique Noirs / Blancs dans la prison et dans la ville. La haine raciale entre ces deux communautés, qui se renforce, s'exacerbe et qui donne lieu périodiquement à des débordements de violence quasi-incontrôlables.

Écrit d'une plume vive et percutante, les actions se succèdent sans relâche. Tout va trop vite. Pourtant, ce ne sont pas les casses et leur description qui font la force de ce roman. C'est parce qu'il nous permet de vivre de l'intérieur les pensées, les espoirs, les colères, les contradictions de Max Dembo, l'engrenage inéluctable dans lequel il se retrouve coincé, alors même qu’il est lucide sur l'absurdité de sa destinée.

Une fois le livre refermé, il m'apparait que c’est la force de cette histoire, qui nous accroche, mais qu'elle ne serait rien sans l'écriture d'Edward Bunker. Riche en dialogues, elle est souvent pleine d’humour

« Monsieur » songeai-je, « Auriez-vous un emploi disponible pour un cambrioleur saisonnier, arnaqueur, faussaire et voleur de voiture ? Justifiant également d’une certaine expérience en tant que voleur à main armée, maquereau, tricheur professionnel et autres petites choses »

Mais, et tout particulièrement dans les descriptions de la ville, ce roman est émaillé de moments poétiques et sombres.

Une forêt de néons se mit à vivre. L’auréole de brillance autour de chaque tube grandit au fur et à mesure qu’elle avalait la nuit. Les éclairs intermittents de couleur giclaient comme des spasmes, des bulles de textes illustrés, en tourbillons, en explosions, luisant sur le métal poli des automobiles. Je me mis en marche vers l’ouest simplement parce que c’était là que les lumières brillaient le plus fort.

Mon souvenir de Chicago relève plus d’une aquarelle impressionniste, où couleur et détails viennent se fondre dans l’indistinct, que de l’image bien nette d’une photographie. Le mélange des néons rouges, verts, et argent reflété par les rues humides d’hiver luisait âpre et dur, et le vent faisait frissonner la gadoue salie de suie de la neige fondue.

Mon seul regret quant à ce livre, alors qu’il a été traduit me semble-t-il durant les années 90, est que la traduction m'apparaît terriblement datée. Vocabulaire de l'époque des tontons flingueurs. C'est dans les dialogues surtout que l'on ressent ce décalage.

– Y’a une photo de ta bergère dans le Chronicle d’aujourd’hui. (...)
Elle a aussi écrit un poème. Tu veux l’esgourder ?
– Ecoute, enfoiré pue-de-la-gueule. Laisse tomber ma bergère, et fous-lui la paix, sinon j’te colle le pedigree sur la passerelle.
– C’est moi ton papa, duconneau

Il mériterait je crois d'être retraduit avec le  vocabulaire des rues d'aujourd'hui. Malgré cela, je crois que pour tout amateur de roman noir ce livre est un pilier, une oeuvre majeure qu'on ne peut qu'avoir au premier plan dans sa bibliothèque.



Joe de Larry Brown aux éditions Gallmeister




Diffusée dans le cadre des chroniques littéraires de Radio Béton


JOE de Larry Brown aux éditions Gallmeister

Avertissement au lecteur : 

Avertissement au lecteur : Si vous envisagez de rentrer dans le cercle des alcooliques anonymes, il est préférable de ne pas lire ce roman. Pour tous les autres, il est à consommer sans modération ! Autant le dire tout de suite, l’alcool est omniprésent à chaque page ou presque. C’est même un des personnages principaux de ce roman. Peut-être parce qu’il fait terriblement chaud dans le Mississipi. Peut-être aussi parce que l’alcool est une bien jolie sirène lorsque les destins sont trop lourds à porter. Ce qui est sûr c’est que les principaux protagonistes engloutissent canettes sur canettes quand ils n’ont plus Bourbon et coca sous la main pour se désaltérer. Je n’ai pas vérifié avec précision, mais je suis prête à faire le pari qu’il n’est pas possible de lire plus de trois pages d’affilée sans que l’un ou l’autre des personnages s’enfile une gorgée, si possible fraîche voire glacée.

Ce livre, c’est l’histoire de Garry Jones, un môme à l’âge incertain, quinze ans peut-être, et sa famille. Ils sillonnent la faim au ventre, les routes du Mississipi sous la poigne d’un bon à rien de père, ivrogne, voleur, égoïste et violent. Garry a une sœur Fay, qui s’est enfuie. Si elle est évoquée au début du roman, nous en saurons peu car son portrait fait l’objet d’un autre roman de Larry Brown. Garry, ses parents et son autre sœur trouvent un jour une vieille cabane abandonnée depuis des années. Un taudis envahi par les guêpes et les araignées. Pas d’eau courante, ni d’électricité. Ils s’y installent. Maintenant qu’ils ont un toit, il s’agit également de trouver du boulot. Si Garry est prêt à tout type de job, son père lui est à l’affût de tous les plans susceptibles de lui fournir de la boisson. Travailler, c’est pas pour lui, mais récupérer l’argent gagné par son fils pour s’acheter une bouteille sans même s’assurer que la famille aura de quoi manger, ne lui pose aucun problème moral.

Ce roman, c’est aussi l’histoire de Joe, un homme solitaire qui ne dénombre plus depuis longtemps les bouteilles éclusées au cours d’une journée. Plutôt en froid avec la police locale, c’est pas un tendre. Il emploie des journaliers pour empoisonner des arbres inutiles afin de pouvoir ensuite replanter des espèces plus propices à l’industrie du bois.

Leurs chemins sinueux vont se croiser et, au fil des jours, et presque malgré lui, Joe va se prendre progressivement d’affection pour le jeune garçon.

Ce roman est dans la veine des « White Trash ». Autrement dit, de ces romans américains qui dépeignent la misère sociale de l’Amérique rurale, cette Amérique où les blancs sont aussi pauvres que les noirs. Dans la droite ligne d’auteurs comme Steinbeck. Comme pour les Raisins de la Colère, ce récit m’a marqué par son intemporalité. L’histoire de Joe et de Garry, si elle s’est passée hier, aurait tout aussi bien pu se passer il y a un demi-siècle. Elle pourrait également se passer aujourd’hui et le seul indice qui nous indique que ce n’est pas le cas, c’est qu’il n’y a ni téléphone portable, ni internet. Ce qui est sûr, par contre, c’est que des types comme Joe ou des mômes comme Garry, l’Amérique actuelle doit en compter encore.

L’histoire de Garry et Joe est magnifiquement portée par l’écriture de Larry Brown. Les dialogues les plus crus s’entremêlent à des descriptions empreintes de poésie. L’auteur sait nous transmettre l’ambiance lourde comme la chaleur des champs et des bois autour du Mississipi. Les personnages ont de l’épaisseur, du corps. Les lueurs d’espoir qui les portent, les animent sont fragiles et les chances de voir le destin s’éclaircir improbables. 

La fête de l'ours de Jordi Soler aux Editions 10/18

Diffusée cette semaine dans le cadre des chroniques littéraires de Radio Béton
Des poches sous les yeux

La fête de l'ours - Jordi Soler aux éditions 10/18


Qui est Oriol, si ce n’est l’oncle de l’auteur et narrateur de ce livre ? Est-il un héros blessé fuyant la guerre civile d’Espagne. Un combattant à l’article de la mort. Un homme qui fuit un hôpital bombardé et qui tente comme dernière chance de survie de franchir la barrière des Pyrénées avec l’espoir d’atteindre la France. Est-ce cet homme qui porte sur ses épaules un autre combattant grièvement blessé lui-aussi qui mourra avant d’atteindre la frontière ? Est-il mort lui-même, lors de cet acte de bravoure, dans la tempête qui cette nuit-là faisait rage sur la chaîne montagneuse. C’est en tout cas ce que laissent à penser les dernières traces d’Oriol. C’est la légende à laquelle s’attachent la plupart de ses descendants réfugiés au Mexique. Seul son frère, Arcady, est persuadé qu’Oriol est toujours vivant.

Toute la famille, cependant s’accorde à voir en lui un homme valeureux et courageux, mort trop tôt et qui aurait pu devenir un pianiste virtuose si la guerre ne s’était mêlée de contrarier ce destin et d’anéantir son avenir.

En 2007, l’auteur Jordi Soler, est en pleine conférence à Argelès-sur-Mer. Il y est venu pour parler de la guerre civile d’Espagne et de ce camp de concentration, mis en place par le gouvernement français pour y enfermer les républicains espagnols fuyant la répression franquiste. Tout près de cette plage d’Argelès sur Mer, sanglante en cette période sombre et devenue aujourd’hui un haut lieu de villégiature.

C’est là, lors de cette conférence qu’une vieille femme, une mendiante, va tendre au narrateur une photo d’Oriol datant d’après la guerre et une lettre. Impossible de continuer à croire au mythe familial. Le narrateur ne peut que se lancer dans une longue enquête pour retrouver les traces du passé, pour savoir ce qu’est réellement devenu son oncle. Dès lors, commence à se fissurer la légende.

De rencontres en rencontres, d’archives en archives, l’auteur va lentement s’enfoncer dans de sombres méandres, loin de la belle histoire qu’a forgée sa famille. Tout au long de ce livre, un peu comme dans « Coeur Cousu » de Carole Martinez, s’entremêle dans le récit des bribes de fantastique. Un géant, une fée, une sorcière, tandis qu’en parallèle l’auteur nous décline des documents d’archive froids et sans âme. On s’attache aux personnages secondaires que croise le narrateur. Leur présence, bien qu’ils soient décrits comme des personnages de contes, contrebalance l’incorporalité d’Oriol.

Je me retiens de vous dévoiler le dénouement de ce roman, car cette fin est magistrale, et elle donne une immense profondeur à l’ensemble du récit.

Ce que j’ai aimé, à la lecture de ce livre, c’est la découverte d’un pan de l’histoire trop méconnu, c’est cette quête de vérité si inconfortable alors qu’il aurait été si facile de laisser vivre le mythe. C’est également parce que l’auteur pointe du doigt ce que notre mémoire, individuelle ou collective s’efforce d’oublier. Ce sont les questionnements du narrateur tout au long de son enquête, au fur et à mesure de ses découvertes sur ce que l’on est vraiment lorsque l'on sort des circonstances de la vie « ordinaire ».



Si cela avait été nous, aurions nous été héros ou salaud ? Comment, pourquoi bascule-t-on ?  

lundi 7 juillet 2014

Libellules - Joel Egloff

Deuxième chronique Radiophonique
que vous pouvez écouter ici  : http://www.despochessouslesyeux
ou bien lire, ci dessous ... 

Après avoir lu plusieurs bouquins assez sombres, voire très noirs, j’avais envie de lire tout autre chose. Un livre plus léger, un truc qui n’élève pas anormalement mon taux d’adrénaline. J’ai donc été attirée par le titre de celui de Joël Egloff « Libellules ».

Autant le dire tout de suite, si vous chercher à lire une histoire trépidante avec un macchabée toutes les trois pages, un livre avec un suspens qui vous tenaille de la première à la dernière ligne, il vaut mieux que vous passiez votre chemin et que vous vous inspiriez d’une autre chronique « des poches sous les yeux » comme par exemple celle sur Mapuche de Caryl Férey chroniquée par Jimmy.

Avec Libellules, on est sur un tout autre registre. Ce n’est pas un roman, ni même un recueil de nouvelles. Joël Egloff nous offre plutôt vingt-cinq histoires, chroniques, moments de vie, comme autant de bulles de savon qui s’envolent au fil des pages.

Certaines sont légères comme un souffle d’air printanier quand d’autres vous éclatent à la figure. Je pense en particulier à l’une de mes favorites « Conte de Noël » qui laisse un sillage amer et tenace même plusieurs jours après la lecture.

Toutes ces histoires, et c’est là le talent de l’écrivain, sont comme autant d’instantanés de ces petits moments ordinaires qui émaillent notre quotidien. Tous ces moments auxquels, généralement, nous ne portons pas attention : une femme qui secoue son linge, une lettre inaccessible, une offre d’emploi, ou l’horloge du clocher de l’église d’un petit village qui soudain disparaît.

Joël Egloff croque ces moments ordinaires avec délectation. Il porte sur eux un regard étonné, décalé qui les transforment chacun en un petit tableau coloré et font de ce livre une mosaïque multicolore.

Là, où nous ne trouverions rien à raconter. Sur ces scènes que nous voyons sans les regarder, son regard à lui s’accroche et par la magie des mots, il nous embarque sur des sentiers que nous n’avions pas remarqués. Chemins poétiques, parfois doux, parfois amers, souvent contés avec dérision, il nous invite à partager ces moments, ces instants éphémères qui nous paraissent ordinaires et qui pourtant ne le sont peut-être pas.

Ces histoires, souvent très courtes, qui ne dépassent pas pour la plupart trois à quatre pages, sont comme autant de bulles d’oxygène que l’on peut lire à tout moment et qui viennent nous distraire de notre quotidien, en portant sur ce dernier un regard neuf. Le livre refermé, on se surprend à se demander ce que Joël Egloff pourrait nous écrire au sujet de cette vieille dame qui, telle un lézard, semble se réchauffer au soleil sur ce banc public au milieu du square. Ou les angoisses soudaines lorsqu’on découvre un courrier portant la Marianne en effigie et émanant des services de la préfecture. Un impayé, une amende peut-être ? Ou encore sur les élucubrations métaphysiques de cet enfant au cartable brinquebalant qui observe, accroupi, un brin d’herbe avec attention.

Ce livre ouvre notre regard, il nous invite à rêver, à nous émerveiller, à nous interroger sur les petits riens du quotidien. C’est Libellules de Joël Egloff et c’est aux éditions Folio - Gallimard pour à peine plus de cinq euros.


mardi 1 juillet 2014

Le seigneur des porcheries - Tristan Eglof

Parce que depuis peu je propose quelques chroniques littéraires enregistrées pour une radio locale indépendante tourangelle Radio Béton dans le cadre de l'émission "Des poches sous les yeux"


Voici le lien vers ma première chronique version audio :
 Le seigneur des porcheries - Tristan Egolf 



et ci-dessous, la version texte : 

Peut-être par peur de ne pas tenir les trois minutes nécessaires (non, pas celles de M. Cyclopède) mais celle « des poches sous les yeux » j'ai choisi du lourd, un sacré pavé de quelques six cents pages pour ma première chronique. J'essaierai d'être à la hauteur, ou plutôt de faire le poids, car ce bouquin, pour moi, c'est un véritable chef-d’œuvre.

Bon, vous me direz que pour le moment vous n'avez toujours aucune idée du bouquin en question. Il s'agirait donc, peut-être, de commencer par le commencement et donner le titre de l’œuvre voire, éventuellement, l'auteur de cette petite merveille...

Le roman que j'ai envie de vous faire découvrir, c'est :
Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf.
Il est édité aux éditions Folio, chez Gallimard, et vous pouvez le trouver pour moins de neuf euros.

Ce livre et la destinée de l'auteur ne sont pas sans rappeler « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole, qui a déjà été chroniqué dans « des poches sous les yeux » et que vous pouvez retrouver sur le site internet de l'émission. Les deux écrivains ont eu beaucoup de mal à faire éditer leur œuvre. Ainsi, avant d'être découvert par la fille de Patrick Modiano et présenté aux éditions Gallimard, ce manuscrit avait essuyé plus de soixante dix refus de maisons d'éditions américaines. Les deux livres ont également comme point commun de décrire avec une vivacité de ton et de style, la chronique de vie d'un anti-héros hors du commun.

Sur un peu plus de six cent pages, les mots déferlent. Tristan Egolf nous dépeint d'un écriture acide, cynique, drôle, acérée, une fresque de l'Amérique profonde. On suit sans reprendre notre souffle, les péripéties de John Kaltenbrunner. Au travers de cette chronique de la vie, véritable épopée,Tristan Egolf nous livre une étude des mœurs cruelle et jubilatoire de la petite bourgade de Baker et de ses habitants. Les descriptions, souvent caricaturales, sont écrites dans un style flamboyant, pleines de bruit et de fureur.

Je ne résiste pas à l'envie de vous en proposer deux extraits qu'il m'a bien été difficile de sélectionner tant il y en a d'autres tout aussi truculents :

Si un individu parmi cinquante devait se faire chier dessus par un vol de mouettes, ce serait John, à chaque fois, sans exception. Personne n’avait un don pareil pour se trouver là où il ne fallait pas.

Quant à Baker et ses habitants :

La majorité des élèves quittait Holborn High en croyant dur comme fer que les dinosaures avaient disparu parce que Noé n'avait pas assez de place pour eux sur l'arche. Il allait de soi que toute exception à la norme, quelle qu'elle fût suscitait l'hostilité immédiate de cet environnement. Tout individu qui ne s'engageait pas bovinement dans l'une des deux voies possibles - l'école de commerce ou les usines du coin - pouvait être considéré comme condamné d'entrée de jeu à des années de rejet impitoyable.

Depuis son plus jeune âge, donc, et jusqu'à la mort tragique, forcément tragique, de John, nous allons être entraînés dans les bas-fonds de cette petite ville et comme notre anti-héros, assister à deux inondations, quatorze bagarres, trois incendies criminels, une émeute , une tornade dévastatrice, l'invasion de méthodistes déchaînés, la révolte des torche-colline, et découvrir comment un match de basket se transforme en cataclysme.

Tout au long de ces six cents pages, nous allons subir avec John un déferlement sans bornes de haine et de violence verbale, morale et physique, de la part de cette population ignare, jusqu'à ce qu'il finisse par se venger de la communauté qui l'a mis en butte. Sa vengeance sera un incroyable feu d'artifice, un chaos jubilatoire.

Pour oublier l'ennui et la météo maussade qui nous colle aux baskets ces derniers mois, je vous invite donc à découvrir la plume caustique, décapante, mordante, de Tristan Egolf.

« Le seigneur des porcheries » est édité en livre de poche chez Folio Gallimard pour moins de 9 euros.