dimanche 7 septembre 2014

Aux animaux la guerre - Nicolas Mathieu

Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu
Aux éditions actes noirs - Acte Sud


Comme un état des lieux, celui d’une société en déliquescence. Des portraits, sans concessions mais attachants d’hommes, de femmes, à l’avenir bouché, comme cet horizon d’hivers trop froids, où la neige collante s’écrase mollement et entrave le pas déjà lourd de ceux qui n’attendent plus rien.

Ça se passe dans les Vosges, mais ça pourrait tout aussi bien se passer dans le Nord ou dans la Creuse. Dans le Jura ou sur les contreforts pyrénéens. Ça se passe là, où l’emploi, industriel qui nourrissait des familles, de pères en fils depuis des générations, qui bousillait des vies mais faisait chauffer les marmites disparaît. Celui d’une solidarité ouvrière, d’un syndicalisme autrefois florissant qu’on se raconte, comme une légende et qui survit encore, mais s’éteindra en même temps que l’usine fermera.

C’est l’univers Ricoré. Pas celui des dimanches enchantés, plutôt celui des bols qui refroidissent, sur la toile cirée jaune pisseux de la cuisine. Ces bols dans lesquels on trempe une biscotte ramollie avant d’aller trimer ou de s’enfoncer dans le canapé, un verre à la main avec pour horizon la console vidéo ou les feuilletons télévisés pour tuer la journée. C’est celui du petit blanc sec ou du picon-bière de dix heures du mat. Monde désenchanté tant pour ceux qui ont un boulot que pour ceux qui n’en ont pas.

Dans cet univers trop froid, quelques étincelles de vie, pourtant. Parce qu’elle est là, malgré tout et qu’il arrive que le désir vienne réchauffer un quotidien morose, voire même qu’on tombe amoureux, comme l’oiseau tombe du nid... Par accident.

Dans ce microcosme où tout le monde se connaît, où la dernière usine va bientôt fermer ses portes, il y a les petits trafics pour joindre les deux bouts, ou pour oublier son désœuvrement, et puis comme sur ces routes verglacées soumises aux tempêtes, il y a le dérapage incontrôlé, incontrôlable.

La force de ce livre, ce sont ces destins qui s’entremêlent. Ce sont ces personnages qu’on aimerait voir s’en sortir alors qu’on sait qu’ils sont enlisés. Inéluctablement. Des personnages forts pourtant, aux personnalités parfaitement ciselées par l’auteur qui nous fait rebondir de l’un à l’autre pour dessiner une fresque sociale sombre d’un monde qui disparaît sans que pourtant un autre vienne le remplacer.



Mon seul regret : Il aurait peut-être fallu que le livre se conclue durant la tempête, avec cette empreinte de pied nu dans la neige. Ce qui suit et qui n’est ensuite qu’esquissé aurait fourni sans problème la matière à un deuxième tome, certainement aussi riche que le premier.

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