lundi 7 juillet 2014

Libellules - Joel Egloff

Deuxième chronique Radiophonique
que vous pouvez écouter ici  : http://www.despochessouslesyeux
ou bien lire, ci dessous ... 

Après avoir lu plusieurs bouquins assez sombres, voire très noirs, j’avais envie de lire tout autre chose. Un livre plus léger, un truc qui n’élève pas anormalement mon taux d’adrénaline. J’ai donc été attirée par le titre de celui de Joël Egloff « Libellules ».

Autant le dire tout de suite, si vous chercher à lire une histoire trépidante avec un macchabée toutes les trois pages, un livre avec un suspens qui vous tenaille de la première à la dernière ligne, il vaut mieux que vous passiez votre chemin et que vous vous inspiriez d’une autre chronique « des poches sous les yeux » comme par exemple celle sur Mapuche de Caryl Férey chroniquée par Jimmy.

Avec Libellules, on est sur un tout autre registre. Ce n’est pas un roman, ni même un recueil de nouvelles. Joël Egloff nous offre plutôt vingt-cinq histoires, chroniques, moments de vie, comme autant de bulles de savon qui s’envolent au fil des pages.

Certaines sont légères comme un souffle d’air printanier quand d’autres vous éclatent à la figure. Je pense en particulier à l’une de mes favorites « Conte de Noël » qui laisse un sillage amer et tenace même plusieurs jours après la lecture.

Toutes ces histoires, et c’est là le talent de l’écrivain, sont comme autant d’instantanés de ces petits moments ordinaires qui émaillent notre quotidien. Tous ces moments auxquels, généralement, nous ne portons pas attention : une femme qui secoue son linge, une lettre inaccessible, une offre d’emploi, ou l’horloge du clocher de l’église d’un petit village qui soudain disparaît.

Joël Egloff croque ces moments ordinaires avec délectation. Il porte sur eux un regard étonné, décalé qui les transforment chacun en un petit tableau coloré et font de ce livre une mosaïque multicolore.

Là, où nous ne trouverions rien à raconter. Sur ces scènes que nous voyons sans les regarder, son regard à lui s’accroche et par la magie des mots, il nous embarque sur des sentiers que nous n’avions pas remarqués. Chemins poétiques, parfois doux, parfois amers, souvent contés avec dérision, il nous invite à partager ces moments, ces instants éphémères qui nous paraissent ordinaires et qui pourtant ne le sont peut-être pas.

Ces histoires, souvent très courtes, qui ne dépassent pas pour la plupart trois à quatre pages, sont comme autant de bulles d’oxygène que l’on peut lire à tout moment et qui viennent nous distraire de notre quotidien, en portant sur ce dernier un regard neuf. Le livre refermé, on se surprend à se demander ce que Joël Egloff pourrait nous écrire au sujet de cette vieille dame qui, telle un lézard, semble se réchauffer au soleil sur ce banc public au milieu du square. Ou les angoisses soudaines lorsqu’on découvre un courrier portant la Marianne en effigie et émanant des services de la préfecture. Un impayé, une amende peut-être ? Ou encore sur les élucubrations métaphysiques de cet enfant au cartable brinquebalant qui observe, accroupi, un brin d’herbe avec attention.

Ce livre ouvre notre regard, il nous invite à rêver, à nous émerveiller, à nous interroger sur les petits riens du quotidien. C’est Libellules de Joël Egloff et c’est aux éditions Folio - Gallimard pour à peine plus de cinq euros.


mardi 1 juillet 2014

Le seigneur des porcheries - Tristan Eglof

Parce que depuis peu je propose quelques chroniques littéraires enregistrées pour une radio locale indépendante tourangelle Radio Béton dans le cadre de l'émission "Des poches sous les yeux"


Voici le lien vers ma première chronique version audio :
 Le seigneur des porcheries - Tristan Egolf 



et ci-dessous, la version texte : 

Peut-être par peur de ne pas tenir les trois minutes nécessaires (non, pas celles de M. Cyclopède) mais celle « des poches sous les yeux » j'ai choisi du lourd, un sacré pavé de quelques six cents pages pour ma première chronique. J'essaierai d'être à la hauteur, ou plutôt de faire le poids, car ce bouquin, pour moi, c'est un véritable chef-d’œuvre.

Bon, vous me direz que pour le moment vous n'avez toujours aucune idée du bouquin en question. Il s'agirait donc, peut-être, de commencer par le commencement et donner le titre de l’œuvre voire, éventuellement, l'auteur de cette petite merveille...

Le roman que j'ai envie de vous faire découvrir, c'est :
Le seigneur des porcheries de Tristan Egolf.
Il est édité aux éditions Folio, chez Gallimard, et vous pouvez le trouver pour moins de neuf euros.

Ce livre et la destinée de l'auteur ne sont pas sans rappeler « La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole, qui a déjà été chroniqué dans « des poches sous les yeux » et que vous pouvez retrouver sur le site internet de l'émission. Les deux écrivains ont eu beaucoup de mal à faire éditer leur œuvre. Ainsi, avant d'être découvert par la fille de Patrick Modiano et présenté aux éditions Gallimard, ce manuscrit avait essuyé plus de soixante dix refus de maisons d'éditions américaines. Les deux livres ont également comme point commun de décrire avec une vivacité de ton et de style, la chronique de vie d'un anti-héros hors du commun.

Sur un peu plus de six cent pages, les mots déferlent. Tristan Egolf nous dépeint d'un écriture acide, cynique, drôle, acérée, une fresque de l'Amérique profonde. On suit sans reprendre notre souffle, les péripéties de John Kaltenbrunner. Au travers de cette chronique de la vie, véritable épopée,Tristan Egolf nous livre une étude des mœurs cruelle et jubilatoire de la petite bourgade de Baker et de ses habitants. Les descriptions, souvent caricaturales, sont écrites dans un style flamboyant, pleines de bruit et de fureur.

Je ne résiste pas à l'envie de vous en proposer deux extraits qu'il m'a bien été difficile de sélectionner tant il y en a d'autres tout aussi truculents :

Si un individu parmi cinquante devait se faire chier dessus par un vol de mouettes, ce serait John, à chaque fois, sans exception. Personne n’avait un don pareil pour se trouver là où il ne fallait pas.

Quant à Baker et ses habitants :

La majorité des élèves quittait Holborn High en croyant dur comme fer que les dinosaures avaient disparu parce que Noé n'avait pas assez de place pour eux sur l'arche. Il allait de soi que toute exception à la norme, quelle qu'elle fût suscitait l'hostilité immédiate de cet environnement. Tout individu qui ne s'engageait pas bovinement dans l'une des deux voies possibles - l'école de commerce ou les usines du coin - pouvait être considéré comme condamné d'entrée de jeu à des années de rejet impitoyable.

Depuis son plus jeune âge, donc, et jusqu'à la mort tragique, forcément tragique, de John, nous allons être entraînés dans les bas-fonds de cette petite ville et comme notre anti-héros, assister à deux inondations, quatorze bagarres, trois incendies criminels, une émeute , une tornade dévastatrice, l'invasion de méthodistes déchaînés, la révolte des torche-colline, et découvrir comment un match de basket se transforme en cataclysme.

Tout au long de ces six cents pages, nous allons subir avec John un déferlement sans bornes de haine et de violence verbale, morale et physique, de la part de cette population ignare, jusqu'à ce qu'il finisse par se venger de la communauté qui l'a mis en butte. Sa vengeance sera un incroyable feu d'artifice, un chaos jubilatoire.

Pour oublier l'ennui et la météo maussade qui nous colle aux baskets ces derniers mois, je vous invite donc à découvrir la plume caustique, décapante, mordante, de Tristan Egolf.

« Le seigneur des porcheries » est édité en livre de poche chez Folio Gallimard pour moins de 9 euros.