dimanche 7 septembre 2014

Aucune bête aussi féroce d'Edward Bunker aux éditions Rivages/Noir

Aucune bête aussi féroce – E. Bunker – Rivages/noir

Prochainement diffusée dans le cadre des chroniques littéraires de Radio Béton : Des poches sous les yeux

Impossible de parler de ce livre, sans auparavant dire quelques mots de son auteur. Né en 1933 et mort en 2005, Edward Bunker a durant la première partie de sa vie davantage connu la prison que la liberté. Entre les maisons de redressement qui auront émaillé son enfance et les multiples séjours derrière les barreaux aux États-Unis. Il y aura passé dix-huit années de sa vie. C'est en prison qu'il se passionne pour la littérature et qu'il devient écrivain. La plupart de ses livres ont été adaptés au cinéma et Edward Bunker à également joué le rôle M. Blue dans Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino. « Aucune bête aussi féroce » est préfacé par James Ellroy qui, comme beaucoup d’autres auteurs de romans noirs, lui voue une grande admiration. C’est en prison qu’il écrira ce roman noir qui sera publié en 1973. C'est le premier de quatre livres très inspirés de son histoire personnelle.

Dans ce premier livre, il relate son désir de s'inscrire dans une vie enfin normale, mais il est assailli de lourdes interrogations à quelques heures de sa libération conditionnelle.
« Si je voulais quelque chose de différent, il me faudrait moi-même, forcément, être différent. Est-ce que c’était possible ? »

«Avant même que j’ai le nez dehors, je me retrouve en porte-à-faux entre une amitié à respecter et la loi à enfreindre. Que je sois le plus dégueu des enfoirés si c’est pas une vraie galère, de promettre que je vais commettre un délit avant même d’être sorti. »

Enfin libéré, nous suivons Max Dembo dans sa tentative de réinsertion et les difficiles relations avec son responsable de conditionnelle.

Je lui rendis son sourire avec candeur, une candeur que je n’éprouvais pas : impossible d’oublier que nos rapports étaient essentiellement ceux d’un couteau dont la lame se pressait contre une gorge.

Il faut que vous compreniez que je ne suis pas comme vous. J’ai un trop lourd passé derrière moi, tous ces jours qui m’ont gauchi, qui m’ont totalement emmêlé l’esprit, pour être comme vous. Ce qui ne signifie pas que mon seul et unique destin soit d’être une menace pour la société. Si j’avais la conviction que mon avenir allait inévitablement ressembler à mon passé, je me suiciderais. Je suis fatigué. Je peux accepter de me plier suffisamment pour rester dans les limites de la loi, mais je ne serai jamais le mec qui rentre le soir chez lui, dans sa maison de la vallée de San Fernando, pour retrouver sa femme et ses gosses.

Si ce livre est semi-autobiographique, il s’y dessine aussi une fresque sociale. Celle des bas-fonds de Los Angeles. Les personnages qui entourent Max Dembo sont tous englués dans leurs problèmes – alcool, drogue, misère – souvent jusqu'au cou, sans aucun espoir d'en sortir. Edward Bunker y dresse également le constat d’un clivage ethnique Noirs / Blancs dans la prison et dans la ville. La haine raciale entre ces deux communautés, qui se renforce, s'exacerbe et qui donne lieu périodiquement à des débordements de violence quasi-incontrôlables.

Écrit d'une plume vive et percutante, les actions se succèdent sans relâche. Tout va trop vite. Pourtant, ce ne sont pas les casses et leur description qui font la force de ce roman. C'est parce qu'il nous permet de vivre de l'intérieur les pensées, les espoirs, les colères, les contradictions de Max Dembo, l'engrenage inéluctable dans lequel il se retrouve coincé, alors même qu’il est lucide sur l'absurdité de sa destinée.

Une fois le livre refermé, il m'apparait que c’est la force de cette histoire, qui nous accroche, mais qu'elle ne serait rien sans l'écriture d'Edward Bunker. Riche en dialogues, elle est souvent pleine d’humour

« Monsieur » songeai-je, « Auriez-vous un emploi disponible pour un cambrioleur saisonnier, arnaqueur, faussaire et voleur de voiture ? Justifiant également d’une certaine expérience en tant que voleur à main armée, maquereau, tricheur professionnel et autres petites choses »

Mais, et tout particulièrement dans les descriptions de la ville, ce roman est émaillé de moments poétiques et sombres.

Une forêt de néons se mit à vivre. L’auréole de brillance autour de chaque tube grandit au fur et à mesure qu’elle avalait la nuit. Les éclairs intermittents de couleur giclaient comme des spasmes, des bulles de textes illustrés, en tourbillons, en explosions, luisant sur le métal poli des automobiles. Je me mis en marche vers l’ouest simplement parce que c’était là que les lumières brillaient le plus fort.

Mon souvenir de Chicago relève plus d’une aquarelle impressionniste, où couleur et détails viennent se fondre dans l’indistinct, que de l’image bien nette d’une photographie. Le mélange des néons rouges, verts, et argent reflété par les rues humides d’hiver luisait âpre et dur, et le vent faisait frissonner la gadoue salie de suie de la neige fondue.

Mon seul regret quant à ce livre, alors qu’il a été traduit me semble-t-il durant les années 90, est que la traduction m'apparaît terriblement datée. Vocabulaire de l'époque des tontons flingueurs. C'est dans les dialogues surtout que l'on ressent ce décalage.

– Y’a une photo de ta bergère dans le Chronicle d’aujourd’hui. (...)
Elle a aussi écrit un poème. Tu veux l’esgourder ?
– Ecoute, enfoiré pue-de-la-gueule. Laisse tomber ma bergère, et fous-lui la paix, sinon j’te colle le pedigree sur la passerelle.
– C’est moi ton papa, duconneau

Il mériterait je crois d'être retraduit avec le  vocabulaire des rues d'aujourd'hui. Malgré cela, je crois que pour tout amateur de roman noir ce livre est un pilier, une oeuvre majeure qu'on ne peut qu'avoir au premier plan dans sa bibliothèque.



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