Aux animaux la
guerre de Nicolas Mathieu
Aux éditions actes noirs - Acte Sud
Comme
un état des lieux, celui d’une société en déliquescence. Des
portraits, sans concessions mais attachants d’hommes, de femmes, à
l’avenir bouché, comme cet horizon d’hivers trop froids, où la
neige collante s’écrase mollement et entrave le pas déjà lourd
de ceux qui n’attendent plus rien.
Ça
se passe dans les Vosges, mais ça pourrait tout aussi bien se passer
dans le Nord ou dans la Creuse. Dans le Jura ou sur les contreforts
pyrénéens. Ça se passe là, où l’emploi, industriel qui
nourrissait des familles, de pères en fils depuis des générations,
qui bousillait des vies mais faisait chauffer les marmites disparaît.
Celui d’une solidarité ouvrière, d’un syndicalisme autrefois
florissant qu’on se raconte, comme une légende et qui survit
encore, mais s’éteindra en même temps que l’usine fermera.
C’est
l’univers Ricoré. Pas celui des dimanches enchantés, plutôt
celui des bols qui refroidissent, sur la toile cirée jaune pisseux
de la cuisine. Ces bols dans lesquels on trempe une biscotte ramollie
avant d’aller trimer ou de s’enfoncer dans le canapé, un verre à
la main avec pour horizon la console vidéo ou les feuilletons
télévisés pour tuer la journée. C’est celui du petit blanc sec
ou du picon-bière de dix heures du mat. Monde désenchanté tant
pour ceux qui ont un boulot que pour ceux qui n’en ont pas.
Dans
cet univers trop froid, quelques étincelles de vie, pourtant. Parce
qu’elle est là, malgré tout et qu’il arrive que le désir
vienne réchauffer un quotidien morose, voire même qu’on tombe
amoureux, comme l’oiseau tombe du nid... Par accident.
Dans
ce microcosme où tout le monde se connaît, où la dernière usine
va bientôt fermer ses portes, il y a les petits trafics pour joindre
les deux bouts, ou pour oublier son désœuvrement, et puis comme sur
ces routes verglacées soumises aux tempêtes, il y a le dérapage
incontrôlé, incontrôlable.
La
force de ce livre, ce sont ces destins qui s’entremêlent. Ce sont
ces personnages qu’on aimerait voir s’en sortir alors qu’on
sait qu’ils sont enlisés. Inéluctablement. Des personnages forts
pourtant, aux personnalités parfaitement ciselées par l’auteur
qui nous fait rebondir de l’un à l’autre pour dessiner une
fresque sociale sombre d’un monde qui disparaît sans que pourtant
un autre vienne le remplacer.
Mon
seul regret : Il aurait peut-être fallu que le livre se conclue
durant la tempête, avec cette empreinte de pied nu dans la neige. Ce
qui suit et qui n’est ensuite qu’esquissé aurait fourni sans
problème la matière à un deuxième tome, certainement aussi riche
que le premier.
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