Impossible de parler de
ce livre, sans auparavant dire quelques mots de son auteur. Né en
1933 et mort en 2005, Edward Bunker a durant la première partie de
sa vie davantage connu la prison que la liberté. Entre les maisons
de redressement qui auront émaillé son enfance et les multiples
séjours derrière les barreaux aux États-Unis. Il y aura passé
dix-huit années de sa vie. C'est en prison qu'il se passionne pour
la littérature et qu'il devient écrivain. La plupart de ses livres
ont été adaptés au cinéma et Edward Bunker à également joué le
rôle M. Blue dans Reservoir Dogs, de Quentin Tarantino. « Aucune
bête aussi féroce » est préfacé par James Ellroy qui, comme
beaucoup d’autres auteurs de romans noirs, lui voue une grande
admiration. C’est en prison qu’il écrira ce roman noir qui sera
publié en 1973. C'est le premier de quatre livres très inspirés de
son histoire personnelle.
Dans ce premier livre,
il relate son désir de s'inscrire dans une vie enfin normale, mais
il est assailli de lourdes interrogations à quelques heures de sa
libération conditionnelle.
« Si
je voulais quelque chose de différent, il me faudrait moi-même,
forcément, être différent. Est-ce que c’était possible ? »
«Avant
même que j’ai le nez dehors, je me retrouve en porte-à-faux entre
une amitié à respecter et la loi à enfreindre.
Que je sois le plus dégueu des
enfoirés si c’est pas une vraie galère, de promettre que je vais
commettre un délit avant même d’être sorti. »
Enfin libéré, nous
suivons Max Dembo dans sa tentative de réinsertion et les difficiles
relations avec son responsable de conditionnelle.
Je
lui rendis son sourire avec candeur, une candeur que je n’éprouvais
pas : impossible d’oublier que nos rapports étaient
essentiellement ceux d’un couteau dont la lame se pressait contre
une gorge.
Il
faut que vous compreniez que je ne suis pas comme vous. J’ai un
trop lourd passé derrière moi, tous ces jours qui m’ont gauchi,
qui m’ont totalement emmêlé l’esprit, pour être comme vous. Ce
qui ne signifie pas que mon seul et unique destin soit d’être une
menace pour la société. Si j’avais la conviction que mon avenir
allait inévitablement ressembler à mon passé, je me suiciderais.
Je suis fatigué. Je peux accepter de me plier suffisamment pour
rester dans les limites de la loi, mais je ne serai jamais le mec qui
rentre le soir chez lui, dans sa maison de la vallée de San
Fernando, pour retrouver sa femme et ses gosses.
Si ce livre est
semi-autobiographique, il s’y dessine aussi une fresque sociale.
Celle des bas-fonds de Los Angeles. Les personnages qui entourent Max
Dembo sont tous englués dans leurs problèmes – alcool, drogue,
misère – souvent jusqu'au cou, sans aucun espoir d'en sortir. Edward Bunker y dresse également le constat d’un clivage ethnique Noirs / Blancs
dans la prison et dans la ville. La haine raciale entre ces deux
communautés, qui se renforce, s'exacerbe et qui donne lieu
périodiquement à des débordements de violence
quasi-incontrôlables.
Écrit d'une plume
vive et percutante, les actions se succèdent sans relâche. Tout va
trop vite. Pourtant, ce ne sont pas les casses et leur description
qui font la force de ce roman. C'est parce qu'il nous permet de vivre
de l'intérieur les pensées, les espoirs, les colères, les
contradictions de Max Dembo, l'engrenage inéluctable dans lequel il
se retrouve coincé, alors même qu’il est lucide sur l'absurdité
de sa destinée.
Une fois le livre refermé, il m'apparait que c’est la
force de cette histoire, qui nous accroche, mais qu'elle ne serait rien
sans l'écriture d'Edward Bunker. Riche en dialogues, elle est
souvent pleine d’humour
« Monsieur »
songeai-je, « Auriez-vous un emploi disponible pour un
cambrioleur saisonnier, arnaqueur, faussaire et voleur de
voiture ? Justifiant également d’une certaine
expérience en tant que voleur à main armée, maquereau, tricheur
professionnel et autres petites choses »
Mais, et tout particulièrement dans les descriptions de la ville, ce roman est émaillé de moments poétiques et sombres.
Une
forêt de néons se mit à vivre. L’auréole de brillance autour de
chaque tube grandit au fur et à mesure qu’elle avalait la nuit.
Les éclairs intermittents de couleur giclaient comme des spasmes,
des bulles de textes illustrés, en tourbillons, en explosions,
luisant sur le métal poli des automobiles. Je me mis en marche vers
l’ouest simplement parce que c’était là que les lumières
brillaient le plus fort.
Mon
souvenir de Chicago relève plus d’une aquarelle impressionniste,
où couleur et détails viennent se fondre dans l’indistinct, que
de l’image bien nette d’une photographie. Le mélange des néons
rouges, verts, et argent reflété par les rues humides d’hiver
luisait âpre et dur, et le vent faisait frissonner la gadoue salie
de suie de la neige fondue.
Mon seul regret quant à
ce livre, alors qu’il a été traduit me semble-t-il durant les
années 90, est que la traduction m'apparaît terriblement datée. Vocabulaire de l'époque des tontons
flingueurs. C'est dans les dialogues surtout que l'on ressent ce
décalage.
– Y’a
une photo de ta bergère dans le Chronicle d’aujourd’hui. (...)
Elle
a aussi écrit un poème. Tu veux l’esgourder ?
– Ecoute,
enfoiré pue-de-la-gueule. Laisse tomber ma bergère, et fous-lui la
paix, sinon j’te colle le pedigree sur la passerelle.
– C’est
moi ton papa, duconneau
Il
mériterait je crois d'être retraduit avec le vocabulaire des rues d'aujourd'hui. Malgré cela, je crois que pour tout amateur de roman noir ce livre est un pilier, une oeuvre majeure qu'on ne peut qu'avoir au premier plan dans sa bibliothèque.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire