mardi 2 décembre 2014

Nouvelle N°1 - Le petit chaperon rouge - Gaëlle Perrin-Guillet


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Quand vous étiez gamin, on vous a forcément rebattu les oreilles avec des contes pour enfants. Ceux qui se finissent bien. Les trucs avec des princes charmants qui tuent des dragons ou des vieilles peaux jalouses qui veulent se débarrasser de leurs futures belles-filles. Du classique. Du propre. Du n’importe quoi.
On vous a menti. Hé ouais. Tout ça, c’est du pipeau. On a même réussi à vous faire croire que ces histoires étaient aussi vieilles que mes robes.
Foutaises.
Je suis le petit Chaperon rouge. Et ça ne s’est pas du tout passé comme on vous l’a raconté.
Tout d’abord, je ne suis pas une gamine bien fagotée et polie. Je suis plutôt du genre grunge qui aime envoyer chier les gens. Faut pas me chercher, je ne suis pas une tendre.
La seule ressemblance que j’ai avec cette poupée de conte de fées, c’est mon goût prononcé pour la couleur rouge et les capuches. Le rouge, parce que ça pique les yeux des honnêtes gens et la capuche pour cacher mon visage. Pratique quand on ne veut pas se faire reconnaître.
Tout s’est passé un jour où je suis arrivée en retard chez moi. J’avais fumé un pétard dans le parc et je n’ai pas vu filer l’heure. Ma daronne était folle furieuse quand je suis rentrée. Elle hurlait qu’elle ne ferait jamais rien de moi, que je finirai sous les ponts. Ouais. Peut-être. En tout cas, elle n’était pas Blanche-Neige non plus : sa gueule avait les rides de celles qui ont fait la gueule toute leur vie, sa silhouette était passée directement de la bouteille de Perrier à une brique de jus d’orange. Aussi large que haute. Ça fait envie, n’est-ce pas ? Et encore, je vous épargne le cheveu gras et le regard torve.
Après avoir beuglé dix bonnes minutes, elle m’a renvoyée illico presto avec un sac plastique rempli de saloperies à donner à ma grand-mère. Ça m’arrangeait bien, faut dire, l’ambiance à la maison était complètement pourrie, j’allais pouvoir traîner encore un peu dehors.
J’ai claqué la porte et j’ai filé.
Pour aller chez ma grand-mère (ou mère-grand, en verlan et je vous jure que ce n’est pas moi qui l’ai inventé !), je dois traverser un parc immense. La nuit était tombée, il faisait froid, j’ai mis ma capuche.
Les parcs publics, le soir, n’ont rien d’enchanteur. C’est une zone où les monstres pullulent, les vilains, les moches, les vraiment pas beaux.
Et comme par hasard, il y a toujours une forêt à traverser. Bien glauque, d’ailleurs, sinon on ne se marre pas.
Dans celui-ci, ça n’a pas loupé, la forêt était devant moi. Mais n’étant pas une gamine trouillarde, j’ai foncé entre les arbres et coupé à travers champ. Les chemins goudronnés, c’est bon pour les moutons.
Ayant du temps devant moi, j’en ai profité pour m’asseoir un moment sous un chêne et me refaire un petit joint. Il me fallait bien tout ça pour supporter ma vie. J’avais encore les oreilles qui bourdonnaient des cris de ma mère.
J’ai tiré une latte sur ma tige et j’ai regardé le ciel. Étoiles, nuages, lune. C’était chouette comme endroit. Pas de bruit de voitures ou autres pétrolettes, pas de jacassement de ces mères de famille avec leurs poussettes trois roues à la mode, pas de rires stridents de gamins qui courent partout. J’étais seule au monde. Ou presque.
Un mec m’a abordée alors que je me relevais. Le genre de type louche, cheveux gras et des dents en moins. Le Grand Méchant Loup. Pour moi, c’était plus un cas soc’ qu’autre chose. Mais que voulez-vous, faut bien les faire trembler les bambins ! Alors, va pour un loup. Ça sonne toujours mieux qu’un clochard.
Il a commencé par me siffler. Puis il m’a fait du rentre-dedans.
— Hé, mignonne, t’as cinq minutes ?
Je lui ai répondu sans le regarder.
— Circule, connard, y a rien à voir.
Il s’est marré.
— Allez, ma jolie, viens me voir, on va s’amuser un peu.
Pendant deux secondes, j’ai hésité : lui casser sa gueule déjà bien défoncée ou tracer ma route. J’ai choisi la seconde option et je l’ai laissé en plan, derrière son buisson.
J’ai continué ma route. Le sac sous le bras, une clope au bec. Elle habitait de l’autre côté du parc, au fond d’une ruelle immonde. Le genre d’endroit que tu fuis comme la peste et en te bouchant le nez. Elle n’avait jamais voulu déménager parce que c’est ici qu’elle avait toujours vécu. Ces vieux, parfois, ils me mettent vingt de tension avec leurs principes à deux balles. Mais ma mère s’en foutait de la mère-grand. Elle pouvait bien crever au fond de son lit Ikea, la seule chose qui l’intéressait c’était son compte en banque bien fourni.
Hé ouais, la mémé était pétée de tunes. Forcément, à vivre dans un taudis sans sortir de chez elle, elle avait accumulé un joli matelas de billets qui grossissait d’année en année. Ma mère en était verte de jalousie.
Je suis arrivée devant la porte, mon sac toujours sous le bras et je m’apprêtais à frapper quand je me suis aperçu que je n’avais plus de clopes. Demi-tour, le bureau de tabac était à côté.
Cinq minutes plus tard, j’étais de retour.
J’ai toqué et une voix lointaine et caverneuse m’a répondu :
— Entre, ma chérie !
Elle devait être malade, la vieille, ou elle avait fumé trop de Gitanes maïs. Je suis entrée, j’ai posé mon sac sur la table et je suis allée dans la chambre.
Personne.
J’ai entendu du bruit dans la salle de bains. Mémé devait faire son affaire, je l’ai donc laissée tranquille et je suis retournée à la cuisine faire du thé. C’était son rituel depuis des années : thé, clopes et ragots.
C’est avec elle que j’ai fumé ma première tige, d’ailleurs. Une Gitane sans filtre. Le truc à vomir tripes et boyaux. Elle m’a fait passer le goût avec un cognac.
J’avais douze ans. Sacrée Mémé.
Je l’entendais toujours dans la salle de bain, ça gigotait sévère là-bas dedans.
L’eau s’est mise à bouillir et j’ai gueulé dans l’appartement :
— Oh, la vieille ! C’est chaud, tu te bouges ?
Un grognement m’a répondu. Elle ne devait pas être d’humeur, aujourd’hui.
J’ai rempli les deux tasses et, au moment où j’allais la sortir de force de la salle de bain, j’ai entendu la porte s’ouvrir.
Je me suis retournée et j’ai commencé ma phrase :
— T’en as mis du t…
Le mec qui m’avait accostée dans le parc était là, devant moi.
Le con. Il avait dû me suivre et quand je suis allée au tabac, il s’est pointé chez Mémé. À ma place. Avant moi.
Planté devant moi, il me regardait fixement.
Sourire baveux, mains en sang.
La colère est montée direct.
— Putain, mais qu’est-ce que tu fous là ?
— Je t’attendais, poulette !
— Tu m’as suivie, espèce de tordu !
— Tu croyais pas t’en tirer comme ça, non ?
Il s’est avancé vers moi, l’œil rond et l’haleine puante. J’ai failli vomir.
— Qu’est-ce que tu as fait de la vieille ? Elle est où, Mémé ?
— Elle dort, ne t’inquiète pas… Viens, maintenant, on va pouvoir s’amuser tous les deux !
J’ai eu un hoquet de stupeur : il était là, chez ma grand-mère, du sang plein la gueule et il ne pensait qu’à me sauter !
— Je t’ai demandé où était Mémé…
Je me suis approchée de lui, le regard noir, prête à lui exploser la tronche. J’ai dû lui faire peur parce qu’il s’est mis à bégayer :
— Je crois que… Elle est… tombée ?
Je l’ai bousculé, il est tombé sur son cul flasque et j’ai foncé dans la salle de bain : Mémé baignait dans son sang, au fond de la baignoire, une jambe sur le rebord. Ses bas de contention lui étaient tombés sur les chevilles, sa robe marron était remontée jusqu’à la taille et on lui voyait sa vieille gaine Playtex pleine de taches.
Le rideau de douche lui cachait le visage alors je l’ai tiré. Et là, j’ai vu Mémé comme jamais : le dentier en biais, la permanente défrisée et du sang plein la tronche.
Pendant une minute, je n’ai pas su quoi faire. J’ai bien vu qu’elle était froide comme une tranche de jambon, mais j’ai quand même attendu qu’elle bouge un peu. Au cas où.
Mais non, elle n’a pas bronché. Alors je suis retournée dans la cuisine et j’ai trouvé l’autre fou assis à table, en train de siroter le thé de Mémé. Il avait même ouvert le sac plastique et s’était servi dans le bocal de cookies.
J’étais bouche bée.
Et j’ai eu la réaction la plus idiote possible : je me suis barrée en courant.
J’ai couru jusque dans le parc où je me suis effondrée sur un banc. Ce fou avait tué mère-grand. Et il en voulait à ma peau. Et pas qu’un peu.
Comment j’allais expliquer ça, moi ? Mémé était morte. Refroidie. Kaput. Et pas de la meilleure façon.
J’ai allumé une clope et tiré dessus jusqu’à m’en faire péter la gorge.
Je ne sais plus combien de temps je suis restée assise là, à me geler les miches sur mon banc, mais j’avais tellement froid que je me suis décidée à rentrer.
Quand j’ai ouvert la porte, ma mère m’a sauté dessus.
— Mais bon sang, qu’est-ce que tu as fait ?
Elle m’a secouée comme un prunier, à droite, à gauche, devant, derrière. J’ai eu une nausée de tous les diables.
Tout en me ballottant, elle continuait son monologue.
— Je le savais que tu n’étais qu’une sale gamine ! On ne peut pas compter sur toi. À me demander si tu sors bien de mon ventre !
Elle avait raison, je me demandais bien aussi si j’étais issue d’une partie de cette folle. Parce qu’à voir sa tronche à ce moment-là, on n’avait pas vraiment de points communs toutes les deux.
Elle a recommencé :
— Tu sais où tu vas finir ?
J’ai failli lui répondre « dans ton cul », mais j’ai pensé que ce n’était pas approprié. Et elle m’a lâchée d’un coup, a fait deux pas en arrière et a dit :
— Vous pouvez l’emmener…
Sur le coup, je n’ai rien compris. À qui elle parlait ? Et m’emmener où, d’abord ?
Deux flics sont sortis de la cuisine et m’ont mis les menottes. Je n’en croyais pas mes yeux.
Alors qu’ils commençaient à m’emmener dans le hall, ma mère a demandé aux flics si elle pouvait me serrer dans ses bras avant de partir.
Elle m’a glissé à l’oreille :
— Merci pour l’héritage.
J’ai hurlé :
— Mais ce n’est pas moi, je n’ai rien fait !
Peine perdue, j’étais déjà dans la voiture, derrière un grillage, menottes dans le dos.
Ça fait maintenant cinq ans que je croupis dans cette turne. Cinq putains d’années à payer pour quelque chose que je n’ai pas fait. Pendant que ma mère se pavane en Dior et Ferrari. Pendant que l’autre taré se balade encore dans le parc. Ou ailleurs.
Soi-disant qu’ils n’ont jamais trouvé d’autres empreintes que les miennes, chez Mémé. Et tout le monde savait que j’avais besoin d’argent pour me payer mes barrettes de shit. Ce que ma mère a confirmé, évidemment. J’étais la coupable idéale.
J’ai eu des doutes pendant très longtemps. Maintenant, je n’ai que des certitudes : c’est ma daronne qui a orchestré tout ça. Le type, on ne l’a jamais revu. Comme par hasard. Et les flics avaient fait bien vite pour trouver le corps de Mémé. Un coup de fil anonyme, il paraît. Ouais, et moi je suis Lady Gaga.
Elle n’a plus eu qu’à toucher le pactole et le dépenser, sans se soucier de sa fille qui croupit en prison. Ça coûte pas cher, une gamine en taule : une cartouche de clopes par semaine. C’est que dalle. Le reste, elle n’a plus qu’à le claquer en fringues de luxe.

Et moi, j’ai troqué ma veste et mon pantalon rouge vif pour une tenue grise immonde.
Voilà la véritable histoire du petit chaperon rouge. Elle n’a rien à voir avec celle que vous avez pu entendre, bien au chaud sous votre couette en plumes d’oie.
Mais c’est la seule et unique. La mienne. Et elle ne se termine pas très bien, n’est-ce pas ?

Peut-être qu’un jour, je vous raconterai l’histoire d’Hansel et Gretel. Ce sera à mourir de rire, vous verrez.

Trophée des 2M - Une vingtaine d'auteurs en lice et trois outsiders

Ce challenge est né d'un échange entre Benoit Minville (libraire et auteur et rockeur) et Eric Maravelias (auteur et sculpteur, et chambreur à l'occasion...). Vous pouvez le suivre sur Facebook, où les discussions entre auteurs vont bon train... Trophée les 2M sur FB




Une vingtaine auteurs français de romans noirs, polars, thrillers... et deux outsiders de la sphère indépendante :


Une vingtaine de nouvelles inédites de vingt-milles signes maximum, écrites pour l'occasion et diffusées de façon anonyme sur le site et sur les blogs qui le souhaiteront

Vingt lecteurs qui proposeront à l'issue d'un vote leurs nouvelles favorites sans savoir qui les a écrites...

Des blogueurs et passionnés et pour partager autour de ce projet : 
Le but du jeu : 
Pour les auteurs : Se faire plaisir en échangeant avec d'autres auteurs fédérés autour de ce projet. Partager une même aventure.  Se connaitre autrement, se faire connaitre auprès d'autres lecteurs peut-être aussi...
Pour le jury de lecteurs : proposer un best-off des nouvelles qu'ils auront plébiscités. Se faire plaisir à lire toutes ces nouvelles.
Pour tous : deviner qui a écrit quoi... et par la même occasion découvrir des auteurs qu'on a peut-être encore jamais lu et pour ça on vous concocte un petit jeu...

La réponse à la fin challenge...

Modalités pratiques : 
Dépôts des nouvelles avant fin février  
Délibération du jury en mars...  
Réponse au quizz "Quel est l'auteur de cette nouvelle " à l'issue de la délibération du jury

Remise du prix : 
Au FESTIVAL DES PONTONS FLINGUEURS le samedi 27 juin 2015

En jeu : 
Une statuette d'argile faite main par Eric Maravelias et nommée Joan par Benoit Minville lors d'un délire partagé avec Eric Maravelias.
et peut-être rêvons un peu : un partage autour d'un verre à l'occasion de la remise du trophée, une édition papier, des médias en délire...

Et pour plagier Benoit Minville : Rock -Write & Read.... Yeeahh

mercredi 26 novembre 2014

Trophée des 2M - Les jeux sont lancés ... En hors d'oeuvre : Brigade des morts - Eric Maravelias

Une nouvelle hors concours d'Eric Maravélias, en guise de hors d'oeuvre....
Téléchargeable en pdf ici
Téléchargeable au format doc là 

BRIGADE DES MORTS.


—  Qu'est-ce qu'il y a, Mansion, encore, tu vois pas que j'suis occupé, bordel ?
—  J'le vois bien, patron, mais c'est urgent.
      Sur le bureau en vrac du boss, un « Playboy était ouvert sur une belle blonde, ouverte elle même sur le monde. Un verre de lait orgeat à moitié plein côtoyait un cendrier qui débordait. Mansion aperçut quelques filtres en carton. Le patron se fumait des bédos. Tout le monde le savait. Ça aiguisait ses intuitions, qu'il disait. Tout le monde se défonçait, dans la brigade, à part Bosquet et Batook. Mais le patron !
    Le Rouge avait débarqué d'on ne sait où dans le service et putain, les choses avaient drôlement changées. Plutôt relax, le boss. Ce soir, y avait des putes au mitard. C'était pas la première fois. Garde à vue. Ils étaient de service de nuit avec le Lorrain, Guillaume, Kian Batook - Quel nom à la con, franchement. Surtout que Ian avait changé d'un coup. Bref. Y avait Bosquet, aussi, mais lui, les putes, c'était pas son truc. Pourtant, avec un nom pareil… Et puis Mansion, la silhouette nerveuse, le poil brun, plutôt beau gosse. Ils glandaient tous à moitié, une nuit calme en dehors des deux putes que les collègues du jour avaient ramenées. Soudain, le patron se leva, souple et gracieux et il descendit au sous-sol avant de remonter avec les deux radasses. Les autres les entendirent se marrer dans l'escalier et le « Rouge » déboula dans la pièce une gonzesse à chaque bras. Il chambra Bosquet.
— Eh ! Biscotte ! Ouais, il l'appelait Biscotte. Elle est pas bonne, Carmen ?
— Bosquet releva les yeux du livre à la con qu'il était en train de lire, le roman d'un mec avec un nom espagnol à rallonge, et il dit :
— Un vrai canon, c'est clair. Des gros boulets.
—  Tu veux pas l'interroger au RDC ?
— Nan, chef, c'est bon. J'suis marié. Vous avez oublié ?
—  J'suis marié, j'suis marié… toujours la même chanson. Tu fais chier, Biscotte.T'es un rabat-joie. C'est pas parce que tu t'fais lécher l'shibre en passant que t'aimes plus ta femme. Regarde, moi. J'l'adore, la mienne. Faut compartimenter. Tu saisis, ou pas ?
— Ouais, chef. Mais pas de compartiment couchettes, pour moi.
 
    Bosquet était toujours très zen. Sa petite tête de fouine souriante sous ses mèches brunes et raides comme des queues de rat, il s'en tirait toujours avec une pirouette. Tout le monde kiffait Bosquet. Même le chef. Mais Le Rouge était un vanneur dans l'âme et personne n’y échappait. C'était jamais méchant. Ce soir, en tout cas, ils étaient tous torchés. Rien d’exceptionnel. Juste une nuit de chiens à meubler. Tout le monde, à part Bosquet et Batook - les deux B -, était passé par le sous-sol et ses cellules inconfortables, certes, mais discrètes. Tu pouvais toujours gueuler, là-dedans, personne risquait de t'entendre. Quand Guillaume attendrissait un peu une raclure, au premier, on pouvait écouter le patron ronfler et Mansion réfléchir sur son Sudoku. Un intello, Mansion. Toujours à tchatcher avec Bosquet. Littérature ! Lis tes ratures, déjà ! Le mec te pondait des PV de toubib. Impossible de comprendre quoi que ce soit.
   Le patron, après avoir tiré sur une dizaine de joints depuis le début de leur service, quelques heures plus tôt, dit au Lorrain, qui glandait, les pieds sur son bureau.
— Guillaume, va pécho Mathias. On le baptise ce soir. C'est l'occasion.
   Le Lorrain, masse impressionnante de muscles, eut un sourire jusqu'aux oreilles. Avec sa grosse barbe blonde, sa tête de mammouth mal dégrossi et ses bras de gorille stéroïdé, Guillaume foutait vraiment les foies.
— On lui r'file Carmen ?
— Nan. Rosetta. Ça fait encore plus flipper.
— Sérieux, chef ?
— Carrément sérieux. C'est du lourd. La dernière fois qu'j'ai vu ça, c'était au zoo. J'avais douze ans. Un zèbre.
— C'est parce que vous étiez p'tit, patron. Vous l'avez vu énorme.
— J'te garanti que non. Tu vas pas m'dire que tu trouves pas ça monstrueux, quand même ?
— Bah ! Une taille moyenne.
— Vas-y, dégage ! Tu m'fais penser à Schwarzy. Ramène le nouveau, qu'on s'fende la gueule.
   Cinq minutes plus tard, Le Lorrain revenait avec Mathias. Le jeune avait ses lunettes sur le pif, et on entendit Batook s'esclaffer. Plus personne n'y faisait attention, ici. Il riait, pleurait, baragouinait des formules ésotériques, récitait le Bottin, tout le monde s'en branlait. C'était Batook. Mais ça n'avait rien à voir avec la tronche de Mathias. Le mec était barré dans une autre planète, une autre dimension ; et même pas parallèle.
— Eh ! Mathias ! Viens, viens… pose un cul. On s'boit un verre. Tu dois en avoir marre de faire le poireau là-haut, lui lança le boss, toujours convivial. Et dans convivial, y avait… bref.

   Mathias, souriant mais gêné, s'approcha. C'était pas donné à tout le monde de pénétrer dans l'antre de la Brigade. Mathias comptait bien l'intégrer un jour. Ça, c'était du boulot de queuf. Des mecs carrés, droits, qui n'avaient pas froid au yeux. Honnêtes et intègres. Efficaces.
Putain ! La crise ! Mais Mathias était tout feu tout flammes. La fougue de la jeunesse. Un idéaliste.
Le bleu s'assit sur la chaise en bois, près du bureau du boss et ce dernier sortit un gros pétard avant de l'allumer sous le nez du jeune, médusé. Mathias hésitait entre la stupeur, l'indignation, et la complicité. Merde ! C'était peut-être un test. Pour voir s'il était corruptible. Il se tortilla dans son uniforme. Il était trop petit ce con. Son caleçon lui rentrait dans le derche.
— Tu veux une latte ?
   Le Rouge lui tendait le joint ; juste sous son pif. Mansion et Le Lorrain attendaient en se retenant de se marrer. Bosquet lisait, imperturbable, et Batook baragouinait des trucs incompréhensibles, dans son coin, près de la fenêtre, son bonnet, comme une seconde peau, vissé sur sa tête. De temps à autres, il caressait son bouc blanc, les yeux dans le vague. Sur ses lèvres, on aurait pu lire, si on s'en était donné la peine :
— Oulan Bator, Oulan Bator.
   Dehors, l'orage se mit à gronder et il y eut un violent coup de tonnerre. Bosquet sursauta, jeta un œil vers les carreaux dégoulinant de pluie, et il reprit sa lecture. Le temps leur crachait dans la gueule depuis huit jours. Un automne de merde.
— Une latte ? Heu… non... merci, chef.
   Le Lorrain s' avança, attrapa le pétard, et il tira une taffe à la mesure de ses poumons hypertrophiés, comme le reste. Puis, l'air ravi, il recracha la fumée de trois locomotives dans un nuage mortel de gaz carbonique et de THC. La voix cassée, il demanda :
— Mansion ? Tu tires ?
   Mansion, qui finissait de remplir un rapport que personne n'arriverait à déchiffrer, bien entendu, répondit.
— Nan. J'me réserve pour demain. Il fit un clin d’œil à Guillaume qui se marra, puis, se tournant vers Mathias, bien emmerdé et qui ne savait plus trop, ni quoi dire, ni quoi faire, ni où se foutre :
— Me dis pas que t'es un chieur, toi aussi ?
— C'est qui, aussi ? lança Bosquet, qui n'était pas sourd.
— C'est toi, c'te blague, répondit Le Lorrain. T'as vexé Rosetta et Carmen. T'as donc aucun sentiment ?
— J'ai surtout le sentiment que Mathias va se faire un plaisir de sauver l'honneur de ces dames.
— Y a eu une agression ? Qu'est-ce qui se passe ? Vous voulez que j'm'en occupe, chef ? Demanda le bleu, déjà sur les dents.
— Calme, petit. Ouais, va peut-être falloir que t'ailles en mission. C'est pour ça, tire une latte, détend-toi. C'est relax, ce soir. On cherche pas à te piéger. On fait la fête et c'est normal d'inviter les collègues. La nuit, c'est spécial. Plus décontracté, tu vois.
   Mathias avait déjà fumé. Une fois. Une crise de rire de collégien et une fringale de ouf après. C'était pas la mort. Il prit le joint et tira une petite taffe. Il toussa, s'étrangla à moitié et Mansion, rapide comme un furet et toujours serviable, lui tendit une Kro. Le jeune la prit et en siffla la moitié. Il tendit le joint au patron qui, un grand sourire aux lèvres, lui dit :
— Fume, fume, on est déjà farcis. Puis, s'adressant à Mansion :
—  Allez, Mailleki, Ti punch, bordel ! Qu'est-ce que t'attends.
— À vos ordres, chef.
   Deux heures plus tard, Mathias était à l'ouest. Le mélange teush et alcool l'avait retourné. Il était au milieu de la pièce et Le Lorrain lui avait passé son HK 45, un petit bijou de 780 grammes tout nu. Il avait ôté le chargeur. Un coup d’œil sur l'indicateur optique de chargement. Pas de bastos dans le canon. C'est bon. Levier de sécurité automatique et sûreté de percuteur. 15 coups. Canon et culasse rallongés. Le truc qui faisait son petit effet avant même d'aboyer. Tout noir. Comme un Rotweiller.
— Cible à gauche ! hurlait Le Rouge.
Mathias, encore vif mais peu équilibré, suivait les ordres.
— Cible haut droite !
   Mathias, en sueur, leva les bras et la tête en même temps, pivota, et se ramassa au milieu de la pièce en envoyant voler la corbeille et les canettes de Kro, gobelets en plastique, mégots de clopes, rapports de Mansion et toutes les saloperies qui traînaient là-dedans depuis la veille. Batook se leva, masse aussi imposante que le Lorrain, grand chêne impassible, et il alla relever le jeune avant de retourner s'asseoir. Oulan bator le stoïque. Mansion s'était esquivé au sous-sol pour réveiller les gonzesses. Ils leur en devraient une, si elles jouaient le jeu. Quand Mansion revint, il fit un petit hochement de tête et Guillaume prit le bleu dans ses bras. Mathias disparut un instant, poussière au creux de la vallée, enserré entre deux montagnes. Guillaume l'embrassa sur le front avant de l'entraîner au sous-sol.
— Viens, viens, on va se marrer. J'vais te montrer deux colis. Tu vas tremper ton pinceau.
   Mathias s'esclaffa, il trébucha, et le Lorrain le releva avec son petit doigt. Il était vraiment très balaise.
   Arrivés en bas, Guillaume déverrouilla la porte et entra dans la cellule, Mathias sur ses talons. Les deux putes les attendaient de pied ferme. Aguicheuses et bien chaudes. En les voyant, comme ça, dans l'ombre, elles faisaient vraiment illusion.

   Le Lorrain chopa Carmen d'entrée et il commença à lui peloter les nibards. Rosetta, plus virile, attrapa Mathias et lui roula le patin du siècle. Submergé, celui-ci se laissa faire. Au bout d'un moment, semblant y prendre goût, et qui aurait pu l'en blâmer, il devint plus entreprenant. Guillaume et Carmen l'épiaient, tentant de contrôler le fou rire qui commençait à monter, comme un tsunami. Mathias s'enhardit, et même Rosetta avait du mal à garder son sérieux. Le jeune, parti dans son rêve de luxure et de plaisir, raide bourré, seul au monde, avança une main curieuse, pressé, quand, croyant toucher au but, il poussa un cri de terreur en faisant un bond en arrière d'au moins deux mètres, se cognant la tête contre le mur de la cellule et dessoûlant instantanément par la même occasion. Là, le Lorrain explosa, hurlement guttural entre le cri de guerre et l'orgasme d'un dromadaire, et les deux putes se lâchèrent aussi. Ils partirent dans un fou rire inextinguible. Mathias, interdit et encore sous le choc, les regardait, ahuri.
— Vous êtes complètement cons, les mecs, sérieux.
   Guillaume avait les larmes aux yeux. Reprenant son souffle, il lâcha :
—  C'était ton baptême, frangin. Fais pas la gueule. Allez viens, on r'monte.
   Il passa son bras autour des épaules du jeune et fit mine de l'étrangler, lui coinçant la nuque dans le plis du coude. Un étau, putain de gorille !
   Bosquet, au-dessus, farfouillait dans la grande armoire en fer. Il cherchait un bouquin sur les armes de poing qui devait être quelque part dans ce foutoir. Il voulait vérifier si l'arme que le mec décrivait dans son roman existait. Il n'en avait jamais entendu parler. Il aurait pu demander à Guillaume; pour lui, les armes, ça passait même avant sa gonzesse. Mais il ne voulait pas avoir l'air d'une truffe.
Mansion avait fini son rapport et il alla le poser sur le bureau du patron.
— T'en as pas marre de polluer mon bureau avec tes trucs ?
— C'est mon rapport, chef.
— Ouais, mais c'est pas sa place.
— Je le mets où, alors.
_ Là, plutôt.
Le Rouge lui désignait la poubelle vide.
— C'est pas marrant, chef. J'ai passé deux heures dessus.
— C'est pas d'ma faute si t'écris comme un pingouin. On l'fera taper par Bosquet.
— J'suis non violent, chef. Je tape pas, intervint Bosquet.
— Sans déconner, Biscotte, qu'est-ce que tu fous dans la police ?
— J'aime bien m'balader en bagnole dans la ville et j'adore porter un calibre, chef.
— Quoi, c'est tout ?
— Nan. J'aime aussi arrêter des mecs que je trouve nuisibles. Mais vous savez ce que je pense. C'est du menu fretin. Mon but, c'est la brigade financière. Non seulement c'est moins dangereux, j'ai des gosses, moi, faut pas l'oublier, mais en plus, c'est plus efficace. Et on peut serrer de plus gros poissons.
— Ouais, ouais, je sais, Biscotte. Si c'est ton kiff… De toute façon, c'est un asile de fou, ici. T'as qu'à voir Batook.
— Ouais, au fait, il lui est arrivé quoi ? Demanda Mansion, curieux.
— Un truc bizarre. Il a changé de nom un beau jour. Fallait plus l'appeler comme avant. Et puis un matin, il s'est réveillé et il parlait plus notre langue. Il s'est vissé un bonnet à la con sur la tête, et il baragouine plus que des trucs sans queue ni tête.
— Et il parlait quoi, comme langue ?
   Le patron le regarda en souriant.
— Ouais, vous vous foutez d'ma gueule, encore ! C'est ça ?
— Pas du tout, Mansion. Nous non plus, on comprenait pas. Il a vu un psy de la police. C'est du Mongol. Il parle Mongol. Personne sait ce qui lui est arrivé. Il écrit sans arrêt.
— En français ?
—  Au début, ouais, et puis après… en Mongol !
— Et il écrit quoi ?
— Des noms. Tiens, regarde. Le boss jeta un oeil à Batook, prudent, et il se pencha pour ouvrir le tiroir de son bureau. Il en sortit une feuille de papier.
   Mansion lut : Chuluun Kushi Naranbaatar Narantsetseg Oyinbileg Odval Sukhbataar…
— Hé ! Sukhbataar. C'est marrant, ça. C'est l'souk, bâtard ! s'exclama Mansion.
   À cet instant, on entendit un bruit de verre brisé. Batook venait de casser son gobelet en terre. Celui dans lequel il buvait son thé, comme un rituel. Un thé au beurre de Yack. Ça shlinguait dans tout le bureau. Il regardait vers les deux hommes, une lueur malsaine dans le regard, le bonnet un peu de travers.
— Ouais, bon, file ça, cracha Le Rouge, à l'adresse de Mansion. Ça réveille un truc en lui et c'est pas bon.
— Et c'était du Mongol, ces truc ? Ça veut dire quoi ?
— C'est juste des listes infinies de prénoms.
— Putain ! C'est vraiment bizarre, comme maladie..
   Mansion regarda vers Batook, qui s'était replongé dans son monde obscur. Pour lui, il était peut-être très clair.
— Et pour mon rapport ?
— Mets le là, on va le passer à l'équipe scientifique. Y a des paléographes.
   Mansion posa le dossier sur le coin du bureau, ignorant l'ironie. À côté du play-boy.
— Au fait, chef, j'voulais vous dire un truc chaud par rapport à…
   On entendit des voix dans les escaliers et Mathias émergea, suivi par Le Lorrain, qui se marrait encore.
— Alors, t'as tiré ta crampe ? lui demanda le boss
— Ah, ah… trop drôle.
— Ho ! Fais pas la gueule, petit. On y est tous passé.
— Pas moi, chef, dit Bosquet, du fond de la pièce.
— Toi, Biscotte, t'es un cas.
— Et Batook, il y a eu droit ? Demanda Mansion.
— C'était son idée, ça, Mailleki. Tu l'aurais connu avant, putain ! Un vrai fêlé. Toujours à faire le con. J'étais un bleu, à l'époque. Comme toi, Mathias.
   Mathias faisait la gueule.
— J'ai voulu lui mettre ma main dans la tronche. Une erreur. C'est comme ça que j'ai rencontré Guillaume. Une erreur aussi. De la nature, lui. Bref, passons. T'es pas mort. Si ? On t'entend plus.
   Tout le monde se marrait sauf Mathias et Batook.
  Le nouveau Mongol, sérieux comme un pape, gardait ses petits yeux fixés sur le ciel dévasté, ses nuages éventrés accouchant de trombes d'eau. Un éclair zébra les ténèbres et on entendit un train passer, faisant claquer les rails. L'usine en face crachait sa vapeur glauque, son souffle ne s'interrompant jamais, comme des fantômes lâchés à la file et pressés de monter vers le ciel, en quête de liberté, d'espace, et qui succombaient dans la seconde sous le vent violent et agressif qui les balayait d'un revers. Les réverbères, lueurs pâles et fantomatiques, éclairaient des rues désertes et froides. Mathias vit tous ces visages, souriants, certains burinés par la vie, les soucis, ce boulot de taré. Il faisait bon, dans la pièce. Ça sentait l'herbe et il était encore un peu soûl. Il sourit en regardant la grosse tête de mammouth du Lorrain. Derrière lui, Bosquet souriait aussi, assis près de Batook, son livre sur les genoux. Mansion alla jusqu'au bar, un placard à double fond plein de vieux dossiers, et il lança :
— Allez, on fête ça. Ti punch de morts.
  Le sourire de Mathias s'élargit encore. Il repensa à la queue de mulet que sa main avait rencontré dans la cellule et sous la jupe de Rosetta. Il éclata de rire.
— Et ben voilà. Tu vois ? T'es dans la famille, maintenant. Et puisque t'y es, demain soir, on fait une grosse grosse teuf. C'est mon anniversaire, lança le boss, en lui faisant un clin d'œil. On va te mettre sur les rails, par la même occasion.
— On va te mettre sur les rails ! Trop fort, ça, patron, rugit Guillaume.
— Tu vas voir, continua le boss, c'est un truc…
— À propos, patron. C'est de ça que j'voulais vous parler, justement..
— Quoi, Mailleki ? Me dis pas qu'tu viens pas. Même Batook sera là.
— Comment vous l'savez ? Vous parlez Mongol, maintenant ?
— Rigolo ! Moi et lui, on s'comprend. Il viendra.
— Ouais, ok. Bon, moi aussi, j'viens, mais y a un problème.
— Vas y, quoi ?
— J'ai pas eu la coke. Il avait plus rien, le mec.
— Mansion, t'es con. Tu l'as cru ?
— Comment ça ?
— Tu crois que les mecs nous lâchent leur came en souriant ? Avec un p'tit papier cadeau ?
— Vous m'avez dit : « T'y vas et tu lui demandes les cinq grammes de coke »
— T'as dit s'il vous plaît, au moins ?
   Bosquet, du bout de la pièce, s'esclaffa, suivit par le rire de hyène de Guillaume.
— Fallait dire quoi, alors ? demanda Mansion, un peu vexé.
— Tu vas aller avec Le Lorrain. Il va t'montrer. Hein, Guillaume ? Allez-y à six heures. Il va se choper les boules.
   Le rouge regarda sa montre.
— Dans une heure. Ça vous réveillera. Moi, j'irai pioncer deux ou trois heures et après… fiesta, les mecs. Tu veux aller avec eux, Mathias ?
— J'sais pas trop, chef. J'suis d'astreinte jusqu'à sept heures à l'accueil.
— On l'emmerde, l'astreinte. On répondra. J'enverrai Batook. À mon avis, ils feront demi-tour aussi sec.
— Bon, ok, alors.
— Nickel, lâcha Guillaume. Il sortit un de ses cigares à la con. On aurait pu assommer un lascar avec et ça puait comme des pneus qui brûlent.
— Fume cette daube dehors, tu veux ? J'ai à moitié la gerbe, lâcha le boss.
— Je l'fumerai dans les douches. J'vais aux san' avant d'aller chez l'autre connard. Tu veux prendre une douche, Mathias ?
Le jeune allait répondre vertement qu'il avait vu assez de bites pour toute sa vie, quand il comprit que le Lorrain le chambrait. Il se mit à rire et les autres l'imitèrent. Pas Batook.


mardi 25 novembre 2014

Je suis sa fille - Benoit Minville - Editions Sarbacane

Joan, elle a la rage. La haine. Elle est prête à tout, à tuer et à mourir aussi pour venger son père.

Son objectif, tuer le Grand Patron, dans sa villa niçoise, où les journaux rapportent qu’il est en villégiature. Parce que pour Joan, il est le responsable, celui qui incarne ce monde du travail qui broie les hommes et qui en a écrasé un de trop... Son père.

Bien sûr, elle sait que rien n’est aussi simple que cela. Que c’est un engrenage et que celui qu’elle désigne comme le coupable aujourd’hui pourrait à son tour devenir une victime demain. Mais elle veut retrouver cet homme maintenant, pour assouvir sa colère qui emporte tout. Parce que son père, c’est maintenant qu’il est sur son lit d’hôpital dans un sale état.

Elle a 17 ans, Joan. Et jusqu’à ce coup de tonnerre qui déchire sa vie, elle coulait des jours paisibles. Lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle se réfugie auprès d’Hugo, son meilleur ami et c’est auprès de lui qu’elle déverse les torrents de fureur qui la débordent. Il a 18 ans, Hugo et il décide d’accompagner Joan dans son projet fou. Parce qu’il n’a pas grand chose à perdre, lui non plus et que Joan, il s’est juré de toujours la protéger. Il emprunte la voiture de collection de son frère, sans lui demander son avis. Il sait qu’il va être furax, mais de toute façon vu le projet de Joan, ça n’a pas grande importance.

Ils vont traverser la France et ce voyage va être l’occasion de rencontres inattendues. A cette occasion, Joan va découvrir qu’il existe d’autres forces plus vives encore que la haine et la colère.

Ce livre, c’est un cri de rage, mais c’est aussi un chant d’amour. D’amour de la vie, de tendresse aussi. Si le contexte est sombre, si la hargne sourd derrière les mots, c’est aussi une histoire de vie bouillonnante, impétueuse, qui laisse espérer quand on referme le livre que la fougue de la jeunesse sera plus forte que la résignation des adultes qui ont rangé au placard leurs rêves et leurs espoirs.


L’écriture est intense, comme un gros concert punk-rock à plein volume. Ça envoie sévère et on est dès les premiers mots embarqués dans l’aventure. On est pris aux tripes par ce bouquin et c’est impossible de décrocher avant la fin. C’est paraît-il un livre pour ados, moi j’ai envie de dire qu’il est pour jeunes adultes, (et moins jeunes aussi, car c’est un des livres que j’ai préféré dans tous ceux lus ces derniers mois).

dimanche 16 novembre 2014

Olivier Bordaçarre - Dernier Désir


On entre dans ce livre en douceur. On s’immisce dans la petite vie tranquille de Mina et Jonathan qui ont fui la ville et les sirènes de la consommation pour un retour au source plus respectueux de l’environnement. Ils se contentent de peu et vivent heureux dans un village quasi-déserté du Berry. Il fait beau, chaud et le temps s’écoule avec nonchalence. Tout semble parfait. Il l’aime, elle l’aime et ils aiment leur fils. Ils s’occupent de produire du miel, des légumes qu’ils mettent en conserve en prévision de l’hiver.

L’arrivée d’un voisin pourrait être la dernière touche pour parfaire cette vie simple, en atténuant la sensation d’isolement qu’ils peuvent parfois ressentir malgré tout. C’est donc avec plaisir qu’ils accueillent Vladimir lorsque ce dernier frappe à leur porte pour les informer de son emménagement dans une maison isolée, un peu plus bas sur le canal. Il sera leur plus proche voisin.

Mais, dans la même veine que le film « Harry, un ami qui vous veut du bien » Vladimir, par son excès de prodigalité instille progressivement le malaise dans ce couple où pourtant tout semblait si bien fonctionner. D’abord diffus, il nous saisit comme il saisit Jonathan, et au fil des pages, il devient de plus en plus pesant. Le personnage de Vladimir n’est pas sans rappeler le légendaire Dracula et l’auteur joue avec ce mythe et s’en inspire. Mais ici, ce démon tentateur n’a pas besoin, pour se nourrir, du sang de ses victimes et sa séduction ne joue pas que sur son seul aura sexuel. Il tire des ficelles bien plus machiavélique pour conquérir le cœur de ses victimes. Ce sont d’autres aspirations, d’autres désirs qui alimentent son pouvoir.

Tandis que Vladimir s’impose progressivement dans la vie du couple, le trouble s’instaure et la fêlure se transforme progressivement en un gouffre vertigineux. L’équilibre de chacun vacille et le lecteur voit impuissant les protagonistes s’approcher de l’abîme.

J’ai aimé l’écriture de Bordaçarre qui narre avec une rare finesse le quotidien et la psychologie de ses personnages. Il se dégage de ce livre une atmosphère dense et malgré la touffeur de l’air, on se surprend à frissonner. La chute finale vient parfaire ce livre pour faire de cette histoire un roman parfaitement abouti.


samedi 8 novembre 2014

La comptine des coupables - Carin Gerhardsen - Editions 10/18

Une chronique que vous pouvez écouter sur le site de l'émission 

Si vous êtes fan absolu des polars à la suédoise, alors ce livre-ci va sûrement vous plaire et il viendra compléter votre collection. Mais peut-être parce que je préfère le soleil, en tout cas, moi, je n’ai pas été franchement emballée par ce bouquin. L’intrigue en elle-même est bien ficelée. Cela dit, c’est je crois le minimum pour un polar dès lors qu’il s’agit de retrouver un coupable. Pour ceux pour qui pensent qu’un bon polar c’est avant tout la qualité d’une intrigue alors ce livre devrait satisfaire leur souhait en rebondissements inattendus. Pour ceux qui attendent davantage d’un roman, notamment quant à ses qualités littéraires, alors c’est pas gagné.

Tout commence par la découverte d’une femme et de ses deux enfants égorgés dans le lit de leur mère. Aucun indice, mais une multitude de questions qui émergent. Comment cette femme de ménage peut-elle habiter une maison si luxueuse ? Pourquoi le père des enfants semble-t-il si peu touché par ce drame ?Une équipe de policiers se charge de résoudre cette enquête qui va les emmener dans des méandres complexes.

Ce qui apporte un plus à ce livre c’est qu’il ne traite pas que de l’enquête mais également du poids de la culpabilité que chacun peut être amené à porter et du poids des secrets. Ceux qui entourent cette affaire, mais également ceux de plusieurs des policiers chargés de l’enquête. Cependant, j’ai trouvé maladroit que ces policiers, en plus de leurs recherches sur ce meurtre mènent parallèlement des enquêtes personnelles qui interfèrent plus ou moins avec le récit principal. J’ai eu l’impression que les flics étaient davantage préoccupés par leurs problèmes personnels que par l’horreur de ce triple meurtre et leur rapport à la loi m’a parfois semblé bien ambigue. Ainsi, le fait qu’une femme policier qui a été violée après avoir été droguée ne porte pas plainte contre l’un de ceux qu’elle pense être coupable de ce viol, alors qu’elle est pourtant persuadée qu’il s’agit d’un de ses équipiers m’a dérangée à la lecture de ce livre.

Concernant l’écriture elle-même, c’est de l’écriture à minima. Une succession de faits alignés en narration extérieure à coup de phrases lapidaires, quelques dialogues. De la narration extérieure encore pour nous rendre compte des pensées intérieures des différents personnages ce qui, je crois, limite l’empathie qu’on pourrait ressentir pour eux. Pas de poésie, de rythme, de mélodie dans les phrases. Des paragraphes qui passent d’un personnage à un autre de façon abrupte. Une écriture essentiellement au présent mais qui ne suffit pas à donner de la vie au récit. Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas pour le style que vous serez marqué par ce livre.


Il semble que ce livre fasse suite à deux autres et qu’on suive d’un tome à l’autre les histoires qui lient cette équipe de policiers. Possible que cela nous permette de nous attacher davantage aux personnages et que cela donne au roman une autre densité. N’ayant pas lu les précédents, je ne peux en juger. Je vous laisse le soin de faire votre propre opinion.