mardi 2 décembre 2014

Nouvelle N°1 - Le petit chaperon rouge - Gaëlle Perrin-Guillet


Télécharger au format pdf ici



Télécharger au format odt ici


Quand vous étiez gamin, on vous a forcément rebattu les oreilles avec des contes pour enfants. Ceux qui se finissent bien. Les trucs avec des princes charmants qui tuent des dragons ou des vieilles peaux jalouses qui veulent se débarrasser de leurs futures belles-filles. Du classique. Du propre. Du n’importe quoi.
On vous a menti. Hé ouais. Tout ça, c’est du pipeau. On a même réussi à vous faire croire que ces histoires étaient aussi vieilles que mes robes.
Foutaises.
Je suis le petit Chaperon rouge. Et ça ne s’est pas du tout passé comme on vous l’a raconté.
Tout d’abord, je ne suis pas une gamine bien fagotée et polie. Je suis plutôt du genre grunge qui aime envoyer chier les gens. Faut pas me chercher, je ne suis pas une tendre.
La seule ressemblance que j’ai avec cette poupée de conte de fées, c’est mon goût prononcé pour la couleur rouge et les capuches. Le rouge, parce que ça pique les yeux des honnêtes gens et la capuche pour cacher mon visage. Pratique quand on ne veut pas se faire reconnaître.
Tout s’est passé un jour où je suis arrivée en retard chez moi. J’avais fumé un pétard dans le parc et je n’ai pas vu filer l’heure. Ma daronne était folle furieuse quand je suis rentrée. Elle hurlait qu’elle ne ferait jamais rien de moi, que je finirai sous les ponts. Ouais. Peut-être. En tout cas, elle n’était pas Blanche-Neige non plus : sa gueule avait les rides de celles qui ont fait la gueule toute leur vie, sa silhouette était passée directement de la bouteille de Perrier à une brique de jus d’orange. Aussi large que haute. Ça fait envie, n’est-ce pas ? Et encore, je vous épargne le cheveu gras et le regard torve.
Après avoir beuglé dix bonnes minutes, elle m’a renvoyée illico presto avec un sac plastique rempli de saloperies à donner à ma grand-mère. Ça m’arrangeait bien, faut dire, l’ambiance à la maison était complètement pourrie, j’allais pouvoir traîner encore un peu dehors.
J’ai claqué la porte et j’ai filé.
Pour aller chez ma grand-mère (ou mère-grand, en verlan et je vous jure que ce n’est pas moi qui l’ai inventé !), je dois traverser un parc immense. La nuit était tombée, il faisait froid, j’ai mis ma capuche.
Les parcs publics, le soir, n’ont rien d’enchanteur. C’est une zone où les monstres pullulent, les vilains, les moches, les vraiment pas beaux.
Et comme par hasard, il y a toujours une forêt à traverser. Bien glauque, d’ailleurs, sinon on ne se marre pas.
Dans celui-ci, ça n’a pas loupé, la forêt était devant moi. Mais n’étant pas une gamine trouillarde, j’ai foncé entre les arbres et coupé à travers champ. Les chemins goudronnés, c’est bon pour les moutons.
Ayant du temps devant moi, j’en ai profité pour m’asseoir un moment sous un chêne et me refaire un petit joint. Il me fallait bien tout ça pour supporter ma vie. J’avais encore les oreilles qui bourdonnaient des cris de ma mère.
J’ai tiré une latte sur ma tige et j’ai regardé le ciel. Étoiles, nuages, lune. C’était chouette comme endroit. Pas de bruit de voitures ou autres pétrolettes, pas de jacassement de ces mères de famille avec leurs poussettes trois roues à la mode, pas de rires stridents de gamins qui courent partout. J’étais seule au monde. Ou presque.
Un mec m’a abordée alors que je me relevais. Le genre de type louche, cheveux gras et des dents en moins. Le Grand Méchant Loup. Pour moi, c’était plus un cas soc’ qu’autre chose. Mais que voulez-vous, faut bien les faire trembler les bambins ! Alors, va pour un loup. Ça sonne toujours mieux qu’un clochard.
Il a commencé par me siffler. Puis il m’a fait du rentre-dedans.
— Hé, mignonne, t’as cinq minutes ?
Je lui ai répondu sans le regarder.
— Circule, connard, y a rien à voir.
Il s’est marré.
— Allez, ma jolie, viens me voir, on va s’amuser un peu.
Pendant deux secondes, j’ai hésité : lui casser sa gueule déjà bien défoncée ou tracer ma route. J’ai choisi la seconde option et je l’ai laissé en plan, derrière son buisson.
J’ai continué ma route. Le sac sous le bras, une clope au bec. Elle habitait de l’autre côté du parc, au fond d’une ruelle immonde. Le genre d’endroit que tu fuis comme la peste et en te bouchant le nez. Elle n’avait jamais voulu déménager parce que c’est ici qu’elle avait toujours vécu. Ces vieux, parfois, ils me mettent vingt de tension avec leurs principes à deux balles. Mais ma mère s’en foutait de la mère-grand. Elle pouvait bien crever au fond de son lit Ikea, la seule chose qui l’intéressait c’était son compte en banque bien fourni.
Hé ouais, la mémé était pétée de tunes. Forcément, à vivre dans un taudis sans sortir de chez elle, elle avait accumulé un joli matelas de billets qui grossissait d’année en année. Ma mère en était verte de jalousie.
Je suis arrivée devant la porte, mon sac toujours sous le bras et je m’apprêtais à frapper quand je me suis aperçu que je n’avais plus de clopes. Demi-tour, le bureau de tabac était à côté.
Cinq minutes plus tard, j’étais de retour.
J’ai toqué et une voix lointaine et caverneuse m’a répondu :
— Entre, ma chérie !
Elle devait être malade, la vieille, ou elle avait fumé trop de Gitanes maïs. Je suis entrée, j’ai posé mon sac sur la table et je suis allée dans la chambre.
Personne.
J’ai entendu du bruit dans la salle de bains. Mémé devait faire son affaire, je l’ai donc laissée tranquille et je suis retournée à la cuisine faire du thé. C’était son rituel depuis des années : thé, clopes et ragots.
C’est avec elle que j’ai fumé ma première tige, d’ailleurs. Une Gitane sans filtre. Le truc à vomir tripes et boyaux. Elle m’a fait passer le goût avec un cognac.
J’avais douze ans. Sacrée Mémé.
Je l’entendais toujours dans la salle de bain, ça gigotait sévère là-bas dedans.
L’eau s’est mise à bouillir et j’ai gueulé dans l’appartement :
— Oh, la vieille ! C’est chaud, tu te bouges ?
Un grognement m’a répondu. Elle ne devait pas être d’humeur, aujourd’hui.
J’ai rempli les deux tasses et, au moment où j’allais la sortir de force de la salle de bain, j’ai entendu la porte s’ouvrir.
Je me suis retournée et j’ai commencé ma phrase :
— T’en as mis du t…
Le mec qui m’avait accostée dans le parc était là, devant moi.
Le con. Il avait dû me suivre et quand je suis allée au tabac, il s’est pointé chez Mémé. À ma place. Avant moi.
Planté devant moi, il me regardait fixement.
Sourire baveux, mains en sang.
La colère est montée direct.
— Putain, mais qu’est-ce que tu fous là ?
— Je t’attendais, poulette !
— Tu m’as suivie, espèce de tordu !
— Tu croyais pas t’en tirer comme ça, non ?
Il s’est avancé vers moi, l’œil rond et l’haleine puante. J’ai failli vomir.
— Qu’est-ce que tu as fait de la vieille ? Elle est où, Mémé ?
— Elle dort, ne t’inquiète pas… Viens, maintenant, on va pouvoir s’amuser tous les deux !
J’ai eu un hoquet de stupeur : il était là, chez ma grand-mère, du sang plein la gueule et il ne pensait qu’à me sauter !
— Je t’ai demandé où était Mémé…
Je me suis approchée de lui, le regard noir, prête à lui exploser la tronche. J’ai dû lui faire peur parce qu’il s’est mis à bégayer :
— Je crois que… Elle est… tombée ?
Je l’ai bousculé, il est tombé sur son cul flasque et j’ai foncé dans la salle de bain : Mémé baignait dans son sang, au fond de la baignoire, une jambe sur le rebord. Ses bas de contention lui étaient tombés sur les chevilles, sa robe marron était remontée jusqu’à la taille et on lui voyait sa vieille gaine Playtex pleine de taches.
Le rideau de douche lui cachait le visage alors je l’ai tiré. Et là, j’ai vu Mémé comme jamais : le dentier en biais, la permanente défrisée et du sang plein la tronche.
Pendant une minute, je n’ai pas su quoi faire. J’ai bien vu qu’elle était froide comme une tranche de jambon, mais j’ai quand même attendu qu’elle bouge un peu. Au cas où.
Mais non, elle n’a pas bronché. Alors je suis retournée dans la cuisine et j’ai trouvé l’autre fou assis à table, en train de siroter le thé de Mémé. Il avait même ouvert le sac plastique et s’était servi dans le bocal de cookies.
J’étais bouche bée.
Et j’ai eu la réaction la plus idiote possible : je me suis barrée en courant.
J’ai couru jusque dans le parc où je me suis effondrée sur un banc. Ce fou avait tué mère-grand. Et il en voulait à ma peau. Et pas qu’un peu.
Comment j’allais expliquer ça, moi ? Mémé était morte. Refroidie. Kaput. Et pas de la meilleure façon.
J’ai allumé une clope et tiré dessus jusqu’à m’en faire péter la gorge.
Je ne sais plus combien de temps je suis restée assise là, à me geler les miches sur mon banc, mais j’avais tellement froid que je me suis décidée à rentrer.
Quand j’ai ouvert la porte, ma mère m’a sauté dessus.
— Mais bon sang, qu’est-ce que tu as fait ?
Elle m’a secouée comme un prunier, à droite, à gauche, devant, derrière. J’ai eu une nausée de tous les diables.
Tout en me ballottant, elle continuait son monologue.
— Je le savais que tu n’étais qu’une sale gamine ! On ne peut pas compter sur toi. À me demander si tu sors bien de mon ventre !
Elle avait raison, je me demandais bien aussi si j’étais issue d’une partie de cette folle. Parce qu’à voir sa tronche à ce moment-là, on n’avait pas vraiment de points communs toutes les deux.
Elle a recommencé :
— Tu sais où tu vas finir ?
J’ai failli lui répondre « dans ton cul », mais j’ai pensé que ce n’était pas approprié. Et elle m’a lâchée d’un coup, a fait deux pas en arrière et a dit :
— Vous pouvez l’emmener…
Sur le coup, je n’ai rien compris. À qui elle parlait ? Et m’emmener où, d’abord ?
Deux flics sont sortis de la cuisine et m’ont mis les menottes. Je n’en croyais pas mes yeux.
Alors qu’ils commençaient à m’emmener dans le hall, ma mère a demandé aux flics si elle pouvait me serrer dans ses bras avant de partir.
Elle m’a glissé à l’oreille :
— Merci pour l’héritage.
J’ai hurlé :
— Mais ce n’est pas moi, je n’ai rien fait !
Peine perdue, j’étais déjà dans la voiture, derrière un grillage, menottes dans le dos.
Ça fait maintenant cinq ans que je croupis dans cette turne. Cinq putains d’années à payer pour quelque chose que je n’ai pas fait. Pendant que ma mère se pavane en Dior et Ferrari. Pendant que l’autre taré se balade encore dans le parc. Ou ailleurs.
Soi-disant qu’ils n’ont jamais trouvé d’autres empreintes que les miennes, chez Mémé. Et tout le monde savait que j’avais besoin d’argent pour me payer mes barrettes de shit. Ce que ma mère a confirmé, évidemment. J’étais la coupable idéale.
J’ai eu des doutes pendant très longtemps. Maintenant, je n’ai que des certitudes : c’est ma daronne qui a orchestré tout ça. Le type, on ne l’a jamais revu. Comme par hasard. Et les flics avaient fait bien vite pour trouver le corps de Mémé. Un coup de fil anonyme, il paraît. Ouais, et moi je suis Lady Gaga.
Elle n’a plus eu qu’à toucher le pactole et le dépenser, sans se soucier de sa fille qui croupit en prison. Ça coûte pas cher, une gamine en taule : une cartouche de clopes par semaine. C’est que dalle. Le reste, elle n’a plus qu’à le claquer en fringues de luxe.

Et moi, j’ai troqué ma veste et mon pantalon rouge vif pour une tenue grise immonde.
Voilà la véritable histoire du petit chaperon rouge. Elle n’a rien à voir avec celle que vous avez pu entendre, bien au chaud sous votre couette en plumes d’oie.
Mais c’est la seule et unique. La mienne. Et elle ne se termine pas très bien, n’est-ce pas ?

Peut-être qu’un jour, je vous raconterai l’histoire d’Hansel et Gretel. Ce sera à mourir de rire, vous verrez.

6 commentaires:

  1. Une version moderne aux petits oignons. On pense à Tex Avery, à Gotlib, à Audiard, ca se lit comme on se tape un demi bien frais au troquet du coin, ca mousse, ca étanche la soif et c'est drôlement bon.

    RépondreSupprimer
  2. Efficace.
    Certes, pas très original : on a déjà eu la véritable histoire du petit chaperon rouge version dessin animé (qui est d'ailleurs pas mal, bien barrée aussi) mais plaisant à lire. C'est rythmé, des trouvailles (la mère grand en verlan, l'héritage) et un style simple dans le bon sens du terme (+1 pour l'humour). Cependant, depuis que je connais le mec de l'underground (https://www.facebook.com/pages/Le-mec-de-lunderground/430880136927004?fref=ts) ça me paraît un peu fade mais plus accessible.
    Bref un bon moment de lecture (gratos en plus, faut pas déconner). Merci à l'auteur pour ce partage.

    RépondreSupprimer
  3. Je viens de bien me marrer, là ! Mais de là à retrouver le nom de l'auteur... à part en tirant aux fléchettes, et encore... :D

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sûr ça va être dur et va falloir s'entraîner aux fléchettes. Je crois que le challenge va devenir : Celui qui a trouvé le plus de bonnes réponses est sacré Expert Auteurs Polars :-)

      Supprimer
  4. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  5. Bon, d'accord avec Némascope... la version dessin animé est juste au top mais c'est un dessin animé... En revanche, celle-ci, j'ai bien aimé, même si elle manque de noireté. Elle se lit tranquille, et on est presque sûr de connaître la fin...
    J'attends avec impatience l'histoire d'Hansel et Gretel... Mourir de rire, j'aimerais bien...

    RépondreSupprimer