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C’est le froid.
C’est le froid qui le
réveille.
Et la douleur. Le
cisaillement métallique
Quand il tente, bouger
le fait souffrir.
C’est parce qu’il a
mal qu’il prend conscience de ce monde gris qui l’entoure.
Du silence pesant qui
le fait douter, un instant, d’entendre encore.
Les yeux ouverts il ne
distingue qu’une faible clarté, il n’y trouve aucun repère.
Il est seul.
Il a froid.
Il ne sait pas où il
est.
Perdu.
Abandonné.
Combien de temps?!?
Il ne sait pas.
Il grelotte maintenant.
Il fait plus sombre.
Il distingue le bruit
du vent qui se glisse à travers les interstices du bâtiment.
Il sent une odeur
blanche. Il entend ce calme ouaté qui lui rappelle les hivers blancs
dans les champs.
Il se souvient de la
grange fermée. Aux volets et portes clos. De son père qui s’y
rendait seul la nuit. Des traces dans la neige. De cette couleur
brillante sous les reflets de la bougie. De ce rouge carmin, se
reflétant sur la pâleur de la neige.
Il se souvient.
***
Maman m’avait
toujours dit comme Monsieur le Curé que la curiosité était un
vilain défaut. Que vouloir se mêler des affaires des autres était
une tentation du diable.
Oui mais voilà…
Depuis que Mathilde, la
journalière que Papa avait embauchée pour les blés avait disparu
le samedi soir en rentrant de la fête, à l’école communale ça
jasait et ça disait des trucs.
Y en a qui disaient
qu’elle était cachée pour que mon père il la rejoigne en douce
pour faire des choses avec elle.
Les plus grands, eux,
ils me regardaient en coin, ils murmuraient en s’écartant. Disant
que ce n’était pas la première fois, que ce n’était pas la
première, que ça durait depuis trop longtemps. Que ce n’était
pas normal.
Papa il y pouvait rien
si toutes les filles qu’il prenait pour travailler à la ferme
elles partaient toutes sans prévenir, la nuit.
Toute façon c’était
mieux ainsi. Maman elle les aimait pas ces filles. Elle criait
toujours sur Papa quand il rentrait trop tard. Quand il faisait déjà
noir et que j’étais couché.
Je crois que c’est
pour ça qu’il a voulu les garder. Juste pour les avoir à lui.
Sans que Maman elle le sache. C’est pour ça qu’il les a gardées
ici. Dans la grange.
À l’abri.
Enfermées…
…
Mais moi alors?
Pourquoi il m’a
attaché?
Et pourquoi elles me
répondent pas quand je les appelle?
Je leur parle, mais
elles disent rien. Elles bougent pas non plus. Et font pas de bruit.
Et Maman?
Pourquoi elle est pas
venue me chercher et me recoucher?
J’ai froid et j’ai
faim.
Et en plus maintenant
je sens pas bon. Je me suis fait dessus je crois.
Alors je pleure.
Je crie, je tape du
pied, je me tends et me tords.
Je m’arrache la peau
du cou sur la chaîne, je perds mes ongles, enfoncés dans la terre
en essayant de m’avancer de m’entraîner vers la porte.
Je crie, je hurle, je
pleure.
Je me recroqueville
comme je peux. Épuisé. Effrayé. Et je l’appelle alors: Maman,
encore, et encore.
***
C’est le mal de
ventre qui le réveille.
Cette sensation de nœud
qui lui tord les intestins, le fait se plier en deux, le fait gémir
et geindre.
Petit à petit les
crampes s’atténuent. Laissant place à ce grand sentiment de vide.
D’absence. De manque.
Il fait plus clair.
Le soleil doit briller
dehors, se faufilant sous la porte, le long des chambranles.
La neige accumulée
devant les portes à fondu. Un fin ruisselet s’est écoulé vers
lui.
Il se rend alors compte
qu’il a soif.
Il tend le bras… Les
bras. Il s’allonge.
Trop court.
Il s’étire, se tord
sur le sol, arrachant les croûtes à peine séchées
Ses efforts paient et
le bout de ses doigts se jette avidement sur cette humidité. Il
lèche ses doigts tente de diminuer cette irritation, cette
sécheresse qui le démange. Qui le pique.
Il regarde alors autour
de lui.
J’avais jamais vu la
grange.
Personne avait jamais
vu la grange. Elle est toujours fermée. Y a que Papa qui en a la
clé.
Il a jamais laissé
personne s’en approcher.
Je regarde autour de
moi.
La grange est comme une
maison de poupée.
Papa a fait plein de
box pour les chevaux sauf qu’il y a pas mis de chevaux.
Chacun ressemble à une
pièce de maison.
Chacun est décoré
différemment.
Chacun est habité.
Il doit y en avoir une
dizaine. J’en reconnais quelques-unes, y en a que j’ai jamais
vues.
En tout cas vu qu’elles
sont pas beaucoup habillées et qu’on voit des parties que les
enfants y doivent pas voir, je comprends pourquoi Papa y les a
cachées.
C’est en les
regardant que je comprends que c’est pas moi qui sens…. C’est
elles.
Elles se tiennent pas
comme moi, comme nous.
Leurs bras, leurs
jambes, tout il est trop tendu, trop droit, trop…trop forcé.
Je me force à fixer
mon attention sur l’une des plus proches.
Je crois que c’était
le printemps dernier qu’elle était venue. Elle était gentille!
Elle souriait et riait tout le temps. Quand elle me serrait dans ses
bras c’était comme être caressé par les rayons du soleil le
soir. Ses cheveux ils étaient longs et orange et sa peau blanche
avec ses petites taches était douce même si elle sentait un peu.
Ben là je vois qu’elle
est pas en forme. Elle est encore plus blanche et ses cheveux
pendent. Y a même des endroits où il y en a plus; juste une grosse
marque noire, avec des petits morceaux blancs ou rouges.
Et puis son grand
sourire on voit bien qu’il est pas vrai. Il est trop grand, trop
rouge…Et ses yeux, ils sont éteints. Tout vide, sans rien, sans
lumière… Comme ici.
Chez elle il y a plus
rien qui donne envie, elle est pas en forme du tout.
Avec sa jupe qui montre
ses fesses, penchée au-dessus d’un évier comme si elle faisait la
vaisselle, on dirait que….
Mais j’aime pas.
Ses fesses elles sont
couvertes de traces rouges, de grosses croutes noires. Et puis je
vois bien qu’elle tient pas debout toute seule, Papa a utilisé le
fil barbelé pour empêcher les bêtes de l’enclos de sortir pour
lui attacher la tête à la poignée du placard au-dessus d’elle.
C’est comme si elle était sur la pointe des pieds et qu’elle
essayait de toucher le toit avec sa tête.
Je vois que c’est
elle qui sent pas bon. Il y a une espèce de mare épaisse à ses
pieds, et puis ce truc marron qui pue a aussi coulé plein ses
jambes….
Moi ça me plairait pas
des poupées comme ça. Et puis c’est pour les filles.
***
De nouveau le froid, la
faim, la douleur ont eu raison de son frêle corps; après s’être
roulé en boule, il a fini par de nouveau s’endormir.
Il erre dans ses
songes. Le sommeil entrecoupé de gémissements, de sursauts, de
plaintes, de petits cris…comme un chien rêvant de chasse.
Il s’agite, se
tourne.
Il s’accroche encore
un peu plus la peau dans les maillons de la chaîne, refaisant
sourdre un sang encore trop jeune.
Parfois il renifle.
Parfois il geint.
Il ne sent pas son
corps se raidir. Il ne sent pas son souffle se réduire. Il ne voit
pas la buée de sa respiration se faire de moins en moins épaisse,
de plus en plus espacée, de plus en plus ténue.
Dehors il a recommencé
à neiger.
Petit à petit.
Puis le vent s’est
levé, et il a commencé à recouvrir les traces.
Bientôt la grange est
de nouveau isolée.
Plantée là au milieu
du champ.
Derrière la maison.
Close.
Silencieuse.
Paisible.
Très bon. Le climax est parfaitement instauré, le malaise est palpable et l'auteur n'a pas fait l'erreur de la surenchère, préférant créer un tableau. Je suis amateur de ce genre d'histoire qui puise dans les cauchemars et je salue aussi l'alternance du récit entre le narrateur (phrases courtes telles des couperets) et le petit garçon (phrases au style enfantin qui suggèrent puisque le petit garçon ne peut saisir la portée de ce qu'il voit) , ce qui augmente l'intensité dramatique. L'écriture est également suffisamment assurée pour nous capter et ne pas nous lâcher.
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