En ce 31 juillet, Jean-François de la
Peyrière de Prandie s’embarque à Roissy sur le premier vol Air
France de la journée pour Washington DC. Il se glisse discrètement
dans la file des passagers privilégiés de la classe affaires. La
chef de cabine l’oriente en souriant vers les fauteuils cossus de
la tête de l’appareil. Une hôtesse montée sur talons aiguilles
lui présente les quotidiens. Il sélectionne Les Échos et
range sa serviette en cuir Louis Vuitton dans le compartiment à
bagages. Un steward distribue des petites coupes de champagne.
Jean-François bascule son fauteuil en position horizontale et se
relâche. Il reluque discrètement les jambes du personnel, une
vieille habitude qu’il tient de son père. Il ouvre son journal en
sirotant sa petite coupe de mousseux. Il grimace légèrement, le vin
est acide. Le service se dégrade sur Air France pense-t-il. « Tout
fout le camp ». Une phrase qu’il a souvent entendue et
répétée. Il ouvre le petit sachet de cacahouètes, vérifie
l’heure sur sa Rolex (à quarante-cinq ans, il possède déjà les
oripeaux d’une vie pleine et réussie). Il grimace à nouveau. La
façade de la Rolex est fendue. Il l’a laissée tomber sur le
carrelage de la salle de bains le matin même. Le trait de refend
passe au-dessus de la goutte d’eau qui est l’estampille du luxe
horloger. Il pense à ce cadeau que lui a fait Brigitte à l’occasion
de ses quarante ans. Il éteint son smartphone haut de gamme protégé
par son étui en cuir.
Jean-François est issu d’une des
familles de la noblesse la plus vieille que la France ait connue.
L’arbre généalogique remonte au XIIe siècle. Elle est ancrée
sur les terres de Gascogne de ses ancêtres, dans une galerie de
portraits abritée dans la propriété somptueuse du comte de
Prandie. La branche de Prandie ayant été féconde, son grand-père
a dû abandonner ses droits sur le château à ses aînés, après
avoir fait fortune dans l’industrie du textile. Il a racheté pour
ses besoins personnels « Le petit pommard » une propriété
bourgeoise au nord de Beaune plus proche de Paris. Le petit
Jean-François a grandi dans le refuge parisien, un magnifique
appartement haussmannien du 16e arrondissement situé rue de la
Pompe. Il a passé ses week-ends en Bourgogne et ses étés à l’île
de Ré. Il est entré à JDS (Janson de Saillie) à six ans, pour en
sortir à dix-huit ans, reçu au baccalauréat avec mention très
bien. Il appartenait à cette élite privilégiée dont les
générations successives ont usé les bancs inconfortables de JDS.
Jean-François s’illustrait dans les matières littéraires, mais
il ne disposait d’aucun talent pour résoudre les problèmes de
mathématiques. Il fut accusé un temps par son père de porter
atteinte à la réputation familiale. Le père et le grand-père
trônent toujours en bicorne dans le salon du « Petit
Pommard ». Résigné, il s’était inscrit à Science Po à
défaut de briller à résoudre des équations. Il ne serait pas
polytechnicien. Il n’était pourtant pas dénué de talent. Il
avait une facilité pour l’écriture et les langues étrangères.
Il s’était découvert une passion pour l’économie et la
géopolitique. Le rugueux concours de l’École Nationale
d’Administration l’avait laissé sur le carreau par deux fois
après le supplice du grand oral. Le concours externe du Ministère
des Affaires étrangères lui avait offert un strapontin honorable.
Les portes du Quai d’Orsay s’entrouvraient. Il était passé par
les langues orientales qui le conduisaient vers un premier poste à
Tokyo. Évidemment, il ne jouait pas dans la même cour que les
énarques. Il ne serait jamais ambassadeur de France, mais il aimait
cette vie d’expatrié. Il était passé à Shanghai, où il avait
rencontré sa femme Brigitte. Elle travaillait alors pour une filiale
de la Compagnie Générale des Eaux. Elle avait abandonné sa
carrière pour le suivre à Phnom Penh, puis Bangkok où leurs deux
fils Octave et Arthur étaient nés. Brigitte souhaitait que
Jean-François soit affecté dans un pays où il est plus facile de
scolariser les enfants. L’Europe ne l’intéressait pas. Il avait
demandé à être affecté au département « Amériques »
du Quai d’Orsay. La compétition était rude. Il avait dû avaler
quelques couleuvres de taille variable. Il acceptait de remplacer un
conseiller d’ambassade à Lagos. Il revenait au Quai pour deux ans
dans l’attente d’un poste à New York ou Washington. Plusieurs
énarques pur jus lui grillaient la priorité. Il acceptait une
affectation à Abidjan. On lui promettait la représentation
française à l’ONU à New York, il récupérait un billet pour
Dakar. À force de persévérance il avait finalement atterri comme
premier conseiller d’ambassade à Washington DC. Ça tombait bien
familialement. Les enfants rentraient juste au lycée.
Ce 31 juillet, Jean-François arrive au
terme de son expérience dans la plus grosse représentation à
l’étranger. Après trois ans passés à sillonner les États-Unis,
c’est le retour au bercail. Il est muté au Quai. La famille de la
Peyrière de Prandie rentre sur Paris. Il vient de raccompagner
Brigitte, Octave et Arthur au pays. La famille campe chez ses
beaux-parents en Provence, pendant que lui gère le déménagement.
Cette période est toujours délicate, quand la famille se retrouve
suspendue entre deux lieux, écartelée temporairement entre deux
continents.
Jean-François atterrit en célibataire
ce samedi. Il a rendez-vous lundi matin avec les déménageurs, avant
de s’envoler pour un dernier rendez-vous à Los Angeles.
L’A380 se pose sur le tarmac étouffé
par la chaleur de l’été. Il déverse ses classes affaires dans
les étranges véhicules sur roues qui transportent les voyageurs
entre les terminaux. Évidemment, Jean-François est orienté vers la
file des privilégiés qui bénéficient d’une protection
diplomatique. Il coupe la queue qui serpente dans l’immense hall
d’accueil des vols transatlantiques. Derrière lui, s’agglutine
l’équipage du vol qu’il vient d’emprunter. D’un petit regard
en coin, il profite une dernière fois des jambes de l’hôtesse de
la classe affaires. L’officier d’immigration vérifie la photo,
mais ne prend pas les empreintes digitales, privilège diplomatique
oblige. Jean-François n’est pas comme tous les voyageurs. Il est
cependant tendu. Les messages s’accumulent dans son téléphone
qu’il sent vibrer dans la poche de son pantalon. Il récupère sa
valise, passe les contrôles de la douane. Dehors, la chaleur écrase
l’air. Sa chemise lui colle immédiatement dans le dos. Une fois
assis dans son coupé noir aux plaques diplomatiques, il met le
contact et pousse la clim au maximum. Il fait défiler ses messages.
Brigitte ne l’a pas encore appelé. Tant mieux. La vision du verre
cassé à sa montre le contrarie. Il déteste porter des accessoires
abîmés.
Il démarre en trombe. Jean-François
exècre la conduite pépère des Américains. La route qui mène au
District de Columbia est déserte à cette heure de la journée. Il
fonce largement au-dessus des limitations de vitesse, tout en
surveillant la présence de troopers dans le rétroviseur. Il
bifurque sur la 270 qui l’amène à Bethesda.
Sa villa est cachée au fond d’une
impasse arborée avec piscine. L’ambassade loge dignement ses
principaux conseillers diplomatiques. Il gare la voiture dans
l’impasse, compose le code de l’alarme, met en marche la clim.
Il se sert un scotch sec et dégaine
son smartphone. L’engin vibre. Brigitte l’appelle. Il hésite à
décrocher. Elle entame la litanie des plaintes. Il met le
haut-parleur, pose le téléphone sur une tablette et réponds par
des petits « hum, hum » entrelacés par des « ah
bon ? » interrogatifs. Il écoute avec distance les
difficultés de Brigitte avec le quotidien, les gamins qui lui font
les quatre-cents coups. « Une bonne raclée, ça les calmerait
bien » pense-t-il dans sa tête avant d’enchaîner
intérieurement avec son antienne « Tout fout le camp ».
Puis, il prétexte un appel de l’ambassadeur pour écourter la
conversation.
En fait d’ambassadeur, c’est
Jennifer qui décroche. Son ton s’adoucit brutalement à l’écoute
de sa voix suave. Son cœur bat. Il l’a rencontrée, il y a
seulement un mois dans un cocktail à la résidence de l’ambassadeur.
Il traînait comme une âme en peine, quand elle surgit une coupe de
champagne à la main derrière les tentures rouge et or aux armes de
la république. Jennifer est une petite poupée blonde à la
plastique d’actrice hollywoodienne et aux manières directes
d’Américaine. Évidemment, il a appris qu’il fallait résister à
la tentation, certainement il a tenté d’obéir à son devoir, mais
inéluctablement il est tombé dans le panneau. Il l’a invitée le
lendemain dans un restaurant huppé de Georgetown, l’a embrassée
dans le coupé noir, lui a caressé les seins, puis a passé une
partie de la nuit chez elle.
Depuis, elle le harcèle. Il a beau
avoir été prudent, ils ont quand même échangé des courriels et
des textos compromettants. Jean-François tente de l’éviter, mais
d’un autre côté elle le hante depuis la première nuit.
Il sait qu’il ne la reverra plus, que
c’est son dernier week-end à Washington avec elle. Il veut
profiter un peu de son corps et de sa fougue décomplexée.
Jennifer sonne déjà. La petite garce
a donc perdu son après-midi à l’attendre dans la rue.
Jean-François se rue à la porte avant que ses voisins ne la
découvrent. Bethesda est presque un village et les Français
pullulent. Ses yeux balayent rapidement la rue, heureusement déserte.
Il est soulagé. Il la tire un peu brusquement à l’intérieur.
Elle porte si bien cette mini-jupe un peu vulgaire. Il l’embrasse
goulûment sans préavis. Leurs langues s’interpénètrent.
Jennifer plonge déjà sa main dans la braguette de Jean-François.
Elle soulève sa robe. Il la pénètre contre la porte de l’entrée
avec une facilité qui le déconcerte. C’est si facile de tromper
sa femme. Un instant fugace le visage de Brigitte lui surgit à
l’esprit. Cette vision le fait redoubler d’ardeur dans Jennifer
qui gémit doucement tandis qu’il se vide en elle.
Jennifer se relève une fois le devoir
accompli. Elle remonte sa petite culotte, les cheveux en bataille.
Jean-François se rhabille lentement.
« Tu veux boire quelque chose,
Jenny ?
— Un gin on the rocks. »
Il se rend dans la cuisine, fouille
entre les cartons à la recherche de la bouteille de gin. Dans le
congélateur c’est la désolation. Brigitte l’a vidé et les bacs
à glaçons ont déjà été empaquetés. La machine à glace ne
marche plus. Jean-François claque les portes des placards vides.
Jennifer s’approche.
« Vous déménagez ?
demande-t-elle en découvrant les cartons empilés.
— Non Jenny ! C’est ma
femme qui a fait un grand ménage de printemps, s’empresse-t-il de
mentir.
— Tu mens Jeff ! »
Il déteste se faire appeler Jeff. Jeff
de la Peyrière de Prandie ! Et puis quoi encore ? Ses
joues trahissent son embarras. Cette petite garce est coriace !
Elle n’est pas idiote non plus ! « Tout fout le camp,
elle a aucun respect », maugrée-t-il intérieurement. Pour
toute réponse il la repousse contre le mur en l’embrassant
farouchement, une de ses mains lui palpant les seins à la manière
d’un de ses aïeux exerçant son droit de cuissage. Il ne va pas
non plus lui rendre des comptes sur sa vie de famille et ses
déménagements. Elle sait bien qu’il est marié, diplomate et
qu’il ne va pas rester longtemps aux USA.
« Tu as cassé ta montre ?
— Oui, aujourd’hui c’est pas
mon jour de chance. »
Son sourire se crispe.
« Tu veux vraiment des glaçons ?
— J’ai du mal à boire le gin
chaud. » répond-elle en affichant une moue aimable.
Jean-François comprend qu’il doit
descendre à la cave. Il n’aime pas y aller, mais le congélateur
de secours y est installé. D’habitude c’est Brigitte qui s’y
colle, mais là il va devoir y aller. Il saisit la lampe torche
pendue derrière la porte qui ouvre sur un escalier poussiéreux. Il
descend prudemment les marches branlantes. Une odeur à mi-chemin
entre le moisi et le rat crevé empeste l’escalier.
Une fois la porte de la cave ouverte,
c’est franchement l’odeur de rat crevé qui domine. C’est
normal, le congélateur a sauté, un jus noirâtre s’écoule de la
porte. « Bordel, tout fout le camp dans cette baraque »
lâche-t-il. Il tire la porte du congélateur. C’est la bérézina.
« Qu’est-ce qui se passe,
Jeff ? demande Jennifer.
— Rien de grave, Jenny, sauf que
je crois que tu prendras ton gin sec. »
Il regarde l’heure à sa montre
fendue et frotte la poussière noire de moisissure qui s’est
déposée sur ses manches. Jennifer descend les marches en grimaçant
avant qu’il n’ait pu remonter.
« Ça pue, ton truc, i’ faut le
nettoyer, tu peux pas laisser ça aux déménageurs !
— Je t’ai dit qu’il n’y a
pas de déménageurs, soupire Jean-François.
— Allez, arrête de me prendre
pour une conne Jeff. Je sais très bien que tu retournes en France,
énonce-t-elle d’une voix assurée. »
Comment peut-elle l’affirmer avec
autant d’aplomb ? Il préfère ne pas y penser. S’il s’est
fait griller par une taupe d’un service secret étranger sa
carrière est finie. L’odeur devient insupportable. De minuscules
gouttes de sueur perlent sur son front, se reflétant comme des
milliers d’étoiles dans le faisceau de la lampe. Jennifer prend
l’initiative. Elle ouvre la porte du congélateur en panne. Un sac
de viande congelée noirci tombe à terre. Il s’éclate en laissant
couler un jus pestilentiel. Jean-François évite de justesse de le
prendre sur ses chaussures mais une giclée éclabousse son pantalon.
Il s’énerve et remonte l’escalier en jurant. Jennifer le suit.
L’odeur qui remonte de sa jambe lui donne la nausée. L’idée de
faire le ménage à la place de sa femme le révulse. Il ne veut pas
se rabaisser à ça. Surtout devant sa maîtresse du moment. La
dernière fois qu’il a tenu un balai entre les mains, il y avait
été forcé. C’était pendant ses classes à l’armée. Devoir y
passer serait déroger à son rang, son sexe et sa classe sociale. De
toute façon, Constella la fée du logis et bonne à tout faire
hondurienne qu’il emploie passera lundi matin pour nettoyer les
dégâts.
Il monte dans sa chambre se défait de
ses vêtements sales qu’il jette dans une panière et fonce sous la
douche. Jennifer le suit avec un naturel déconcertant. Elle
s’immisce dans la chambre sur la pointe des pieds comme si elle y
avait toujours vécu. Jean-François se retourne sur elle, l’air
contrit. « Tout fout le camp » peste-t-il intérieurement.
Décidément, il l’aura ressassé sa phrase favorite aujourd’hui !
Il ne lui dit pas, mais le viol délibéré de son espace d’intimité
marital le contrarie. Les vêtements de Jennifer sont déjà au sol.
Elle s’avance nue vers lui. Jean-François comprend qu’un léger
glissement s’opère. Il ne maitrise plus la situation. Cette
étrangère s’est introduite chez lui, et lui frotte les organes
génitaux avec le gel douche que lui a offert Brigitte. Les massages
de Jennifer le détendent légèrement. Mais cette histoire de
congélateur l’énerve.
Les deux amants s’embrassent
longuement, s’enduisent de crème, se caressent l’intimité dans
la moiteur de la douche. À la sortie, ils se frottent vigoureusement
dans deux serviettes éponges moelleuses. Jennifer le pousse contre
le matelas. Jean-François se recule, comme s’il refusait
symboliquement l’adultère dans le lit conjugal, dernier carré que
Jennifer souhaite délibérément violer. Elle insiste. Son corps
s’incline doucement. Jean-François bascule mollement sur
l’édredon. Elle s’assied sur lui tout en se laissant pénétrer.
Les amants s’abandonnent dans une longue séance de corps à corps
langoureux. Il se laisse aller à ce jeu dangereux. Il n’a jamais
trouvé une maîtresse plus extravagante pour les positions qu’ils
testent sans retenue comme deux jeunes libertins.
La nuit commence à tomber quand
Jean-François fouille son dressing à la recherche d’un costume
propre. Jennifer le regarde, allongée nue sur le lit conjugal, comme
sur un trophée conquis de haute lutte.
Quand les deux amants descendent, une
réalité désagréable les accueille. L’odeur de putréfaction
insoutenable a envahi le rez-de-chaussée.
« Tu ne vas pas laisser ce
congèle en l’état, quand même ?
— De toute façon tu vois bien
qu’avec ce costume clair, je suis pas en tenue ! »
Jennifer lui barre la route de la
sortie.
« Écoute Jeff, si tu fais rien
ça va devenir de pire en pire. Demain, tu pourras plus respirer,
même en haut. Plutôt que d’aller au restaurant, tu commandes deux
pizzas et on se met au travail pour nettoyer ce truc. »
Jean-François de la Peyrière de
Prandie est épuisé. Malgré la longue sieste en classe affaires, il
accumule le décalage horaire, la fatigue du voyage et une soirée
déjà bien agitée. Il sent que Jennifer ne le laissera pas sortir
de chez lui.
« Tu as des fringues de ta femme
que je pourrais enfiler pour nettoyer ? »
La question désarçonne Jean-François.
Il n’a jamais tellement fait attention aux vêtements de sa femme,
mais il doit pouvoir lui trouver un jogging.
Les deux amants remontent dans la
chambre conjugale s’équiper. Les voilà en tenue d’intervention.
« T’as des gants, des
sacs-poubelle, des produits détergents ? »
Jean-François sait vaguement où
Constella range ses produits. Ils fouillent la cuisine. Jennifer
trouve rapidement ce qu’elle cherche. M. de Prandie s’effondre
sur un fauteuil, le regard dans le vague. Sa maîtresse paraît avec
deux gants Mappa en main, un balai-brosse, des serpillères, et des
sacs-poubelle.
« C’est parti Jeff ! »
lance-t-elle. Jean-François se lève, résigné la lampe torche à
la main.
C’est assez bizarre, cette sensation
qui l’étreint en descendant, comme un pressentiment qu’il
n’aurait jamais dû mettre les pieds dans cette cave sombre et
pestilentielle. Il regrette déjà de ne pas s’être équipé des
pinces à linge pour se boucher le nez. La porte entrouverte du
congèle exhale cette puanteur infecte. Jennifer prend les choses en
main. Elle comprend que si Jean-François est doué pour certaines
choses du sexe, il n’a aucun sens pratique.
Elle s’attaque aux tiroirs supérieurs
dont elle extrait les sacs avariés qu’elle jette dans les
sacs-poubelle noirs. Jean-François oriente la lampe torche et scelle
les sacs avec l’obsession d’éviter de se salir les vêtements.
Les stocks alimentaires de la famille de Prandie s’entassent dans
des sacs-poubelle.
Le dernier tiroir résiste.
« Jeff, y a un truc qui
coince ! »
Jean-François se baisse et tire de
toutes ses forces. Il appuie d’un pied contre le congélateur. Le
plastique lâche et le contenu se déverse sur le sol.
Jennifer hurle. Jean-François est
tétanisé par ce qu’il découvre. Une petite main humaine de la
taille d’un poupon émerge d’un sac-poubelle. La main noircie par
la décomposition coinçait le bac. Il balaye le faisceau lumineux
sur le sac. Il avance sa main gantée tremblante. Le corps d’un
nouveau-né largement décomposé git dans son berceau de plastique,
le cordon ombilical enroulé autour de son cou. Jennifer affolée
remonte les escaliers en courant. Jean-François la suit. Elle
cherche son sac à main pour appeler la police, mais dans
l’affolement, elle ne sait plus où elle l’a posée. Dans
l’entrée ou dans la chambre à coucher ?
« C’est quoi ça Jeff ?
C’est toi qui l’as étranglé ce gamin ?
— Mais non, c’est pas moi !
Si j’avais su, je te l’aurais caché ! Je suis pas idiot !
— Je te crois pas Jeff ! Tu
mens Jeff ! Tu mens ! tu mens ! Tu m’as menti pour
ton déménagement ! Et maintenant, tu me fais croire que c’est
pas toi qui as tué et congelé ce gamin ! »
Jean-François essaye de réfléchir
rapidement. « Tout fout le camp ! » marmonne-t-il,
exaspéré par sa situation. Ce n’est pas lui qui a posé ce gosse
dans le congèle. La seule personne qui ait pu le faire, c’est
Brigitte. Sa femme ! Ça veut aussi dire que ce gamin est son
fils ! Il n’avait rien vu venir. Effectivement, Brigitte
faisait un peu le yoyo avec la balance, mais quand même. Il n’y
avait vu que du feu. Il n’aurait jamais pu imaginer ça ! Un
bébé congelé ! Elle lui avait fait un gosse congelé !
Brigitte s’était vautrée dans son dos dans un de ces faits-divers
sordides !
Quand il revient à la réalité, il
est déjà trop tard. Jennifer discute au téléphone avec un flic du
911. Jean-François lui saute dessus, lui arrache le téléphone des
mains. Ils se battent. Jennifer hurle au secours. Au téléphone, la
voix demande l’adresse. Le boîtier glisse sous le lit.
Jean-François la lâche. Elle rampe en hurlant l’adresse des
Prandie. Il lui décoche une claque qui la déséquilibre. Dans la
violence du choc, le bracelet de la Rolex se défait et tombe sur le
sol, la vitre brisée en mille éclats. Jennifer surprise, bascule en
arrière contre le marbre de la salle de bains. Son crâne rebondit
lourdement.
Elle git inconsciente. Un filet de sang
rouge perle par ses lèvres soudain pâles.
« Putain ma Rolex ! »
gronde Jean-François. « Tout fout le camp, c’est pas
possible ! »
Des sirènes de police sonnent au loin.
Une pensée étreint soudain
Jean-François.
Il abandonne le corps de Jennifer et
descend à la cave. Il tire le congélateur et découvre ce qu’il
suspectait. Il n’est pas en panne, il est juste débranché. Il se
souvient que Brigitte avait découvert un sexto de Jenny sur son
portable avant son départ. Cette salope ne lui avait pas fait
l’esclandre de la femme trompée. Il avait déjà eu tant de
maîtresses. Jenny n’était qu’une consommation de plus dans la
longue liste de ses infidélités. Il se souvient qu’elle était
descendue à la cave le matin de leur départ pour la France.
Brigitte était partie en débranchant le congèle. Elle avait
secrété sa vengeance ultime.
Il est cerné par la police. Sa maison
est encombrée du corps décomposé de son fils. À l’étage git
celui plus fâcheux de sa maîtresse dont le sperme qui coule entre
les jambes suggère une scène de viol qui a mal tourné.
Tout a définitivement foutu le camp
pour Jean-François de la Peyrière de Prandie.