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Parce qu’elle aime l’informatique
et parce qu’elle s’ennuie, seule à la maison, répétant
toujours les mêmes tâches, les mêmes trajets jusqu’aux commerces
avoisinants, Mathilde s’est programmé un monde. Son monde – régi
par des lois mathématiques, des programmes rédigés en langage
virtuel, une abstraction de 1 et de 0. Elle a baptisé cette terre la
Zone et a choisi de l’illuminer d’un soleil bleu et
crépusculaire. Elle a bâti les immeubles en glace, où elle fait
souffler un vent perpétuel, qui soulève les jupes des femmes,
découvrant leurs bas, décapitant au plus fort de l’hiver le toit
des immeubles. Puis elle a peuplé la Zone. Comme elle avait épuisé
son imagination en créant le ciel et la terre, elle a donné aux
êtres programmés le nom et l’apparence de son mari, de ses
enfants et de ses voisins. Raphaël a donc fait son apparition dans
la Zone. Les enfants – Paul et Léa – de grands adolescents
maigres, ingrats. Puis Marc le boulanger, Kamal le serveur du bar,
Yves le boucher, Nacer l’épicier… et elle-même. Elle s’est
tracée sans ménagement : sa cicatrice sur la joue, ses pattes
d’oie au coin des yeux.
Le dîner du soir est servi. Elle se
lève de son bureau. Les enfants viennent de rentrer de l’école et
la maison est déjà pleine de leur mutisme obstiné. Les enfants
ressemblent à Raphael. Ils ont hérité de sa beauté et de son
introversion. Mathilde a bien essayé de les comprendre puis,
impuissante, s’est résignée à ce qu’ils soient plutôt les
enfants de son mari que les siens. Elle les regarde de loin. Ils
rentrent le soir de plus en plus tard. Ils sentent la cigarette et le
hasch. Leur peau s’est couverte de piercings, comme frappée d’une
maladie contagieuse. Depuis leur naissance, Mathilde a toujours
repoussé le moment de les aimer. Aujourd’hui, ils s’apprêtent à
devenir adultes sans qu’elle s’y soit attachée. Ils doivent
l’avoir remarqué. Mathilde n’ose plus affronter leur regard, à
table, elle pressent leurs pensées secrètes.
Mal à l’aise, elle quitte la cuisine
et sort au soleil couchant. Le vent frais souffle dehors, il
s’engouffre entre les pans de son imperméable, balaie ses cheveux.
Elle s’installe au comptoir du bar et attend que Kamal vienne
prendre sa commande.
Kamal lui ressemble – il est brun,
maigre. Il pourrait être son frère. Mais sa vie diffère de celle
de Mathilde : elle vit, même si elle s’y sent étrangère,
dans un milieu feutré d’intellectuels. Kamal se meut au milieu
d’une clientèle bruyante, dans le vacarme du flipper.
Mathilde le regarde marcher de table en
table, sans se presser. Elle sait qu’il cache un flingue derrière
le comptoir, au cas où. Hypnotisée par sa démarche, elle se
demande ce que ça ferait de tout plaquer pour partir avec lui. Elle
imagine leur étreinte sur le comptoir, à la hussarde, une vie
inconnue qui s’offre. Il suffit d’une fraction de seconde, il
suffit d’y penser et une porte s’ouvre sur un autre monde. Son
monde à lui – peuplé de petits délinquants, d’armes à feu,
d’insultes, un monde où l’on crache par terre, où on fait
l’amour dans les toilettes du bar, le pantalon sur les pieds.
Mais à ce moment, il s’approche
d’elle en souriant – et son sourire illumine un instant la pièce.
Il fait croire un instant à Mathilde qu’ils partiront ensemble.
Elle aime Raphael plus que tout mais sa perfection l’opprime. Kamal
cesse de sourire. Elle sort du bar. Les portes se referment derrière
elle, la privant de ce monde possible, et ce renoncement lui donne un
pincement au cœur.
Sur la route vers l’épicerie, elle
croise Marc qui sort de son immeuble. Sa journée de travail est
finie depuis longtemps. Il s’arrête à son niveau, lui claque deux
baisers sur les joues, dont un, est-ce une vue de son esprit ?
se pose tout près des lèvres. Lui aussi a environ vingt-cinq ans,
peut-être moins, un tatouage de serpent sur l’épaule. Mathilde
éprouve du plaisir à frôler son corps, même s’il a des grâces
de jeune fille, même si, d’expérience, elle mesure combien il
doit être mauvais amant, trop préoccupé de lui-même, de son
apparence, pour apprivoiser un autre corps. Elle sent comme il aura
peur devant sa nudité, comme il ne saura la caresser qu’avec
douceur mais sans sensualité – sans violence – et Mathilde veut
des coups et du sang.
Le vent s’engouffre dans son
imperméable tandis qu’elle gagne l’épicerie.
Nacer, comme toujours le regard
méchant, la fixe sans broncher jusqu’à ce qu’elle se soit
avancée pour lui serrer la main.
— Sale temps, marmonne-t-il.
— Sale temps.
— Tu veux quoi ?
— Rien. Discuter un peu.
— T’achètes rien ?
— Si, du sel.
— Tu veux parler de quoi ?
Lui serait capable, elle pressent, de
la battre, de lui faire mal. Le sang coulerait sur les draps. Il lui
chuchoterait des insultes à l’oreille, en découpant au cutter des
blessures sur sa peau.
— Si tu ne veux pas discuter, on
peut coucher ensemble. Non ?
— Jamais avec des femmes
mariées. J’ai des principes.
Mathilde insiste, mais le jeune homme
reste inébranlable.
— Et si Raphaël et moi nous
séparions, tu accepterais ?
— Sans doute. Pourquoi pas ?
Chez elle, ils attendent le sel pour
commencer à dîner. Léa, son épingle à nourrice au-dessus de
l’œil, Paul, le corps rachitique. Raphaël se tient droit, les
coudes sur la table, il jette sur ses enfants un regard plein
d’indulgence. Mathilde tient serré dans la poche de son
imperméable son sept millimètres silencieux.
Lorsque le premier coup frappe Raphaël,
les deux adolescents se retournent vers leur mère. Elle a visé le
cœur, soucieuse de ne pas faire souffrir son mari, de ne pas
défigurer la beauté de son visage, et de lui épargner la vue de
ses enfants morts. Les enfants sont crispés, mais ils ne crient pas.
Ils attendent le coup sans broncher – et l’on pourrait croire
qu’ils n’ont pas remarqué sa présence, n’était la crispation
de leur mâchoire.
L’un après l’autre, ils partent à
la renverse.
Lorsqu’elle les a tous trois abattus,
elle éteint son ordinateur et descend lentement jusqu’à la
cuisine où, maussades, ils l’attendent pour le dîner.
Bienvenue dans les sims ! Si l'idée n'est pas très originale, elle offre de belles possibilités (j'ai pensé à un épisode de Misfits où un perso a la faculté de transférer les humains dans son jeu) mais on reste en surface (les idées sont trop éparses, pas assez développées et liées). Dommage.
RépondreSupprimerPas accroché. Manque de perversion dans les noirs... L'idée est là, mais on est resté juste au bord du gouffre... dommage.
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